Les 2 amis à L'Isle-sur-la-Sorgue

La première fois que Char entend le nom de Camus, il se trouve dans le Maquis de Céreste dans les Alpes. Une amitié née de la guerre et de la Résistance va naître entre ces deux hommes qui se rencontrent autour des "poésies de guerre" de René Char, les "Feuillets d'Hypnos", amitié que l'on retrouve dans cette phrase de René Char : « J’ai été triste de vous voir partir. Je vous le dis. Il est des rencontres fertiles qui valent bien des aurores », lui écrit-il le 4 octobre 1947.

        

Admiration de Camus qui veut immédiatement les publier dans la collection qu'il dirige chez Gallimard. A l'automne 1946, Camus va rendre visite à René Cher chez lui à L'Isle-sur-la-Sorgue dans le Vaucluse et il goûte autant l'homme que la région du Ventoux au Lubéron. A partir de 1956, Camus s’installe durablement rue de Chanaleilles, à Paris, dans le même immeuble que René Char et de ce fait  leur correspondance  se fait plus rare. 

Leur correspondance en donne un écho saisissant dans ces rencontres fertiles faites malgré tout de retenue et de pudeur, comme dans ces deux extraits  : « Admirer a été une de mes grandes joies que, devenu homme, je n’espérais plus jusqu’à notre rencontre. Veillez sur vous, mon cher René » (Camus à Char, 1er mai 1950) qui renvoie à ce projer de Char  : « Ah ! écrire un jour avec vous le miroir de notre temps sur un cahier bien modeste d’aspect qui paraîtrait quand vrai nous semblerait, voilà le seul projet qui plaise au cœur » (Char à Camus, 17 avril 1950)

Lecture dans le Jardin au Musée Louis Vouland dans les Bons Plans d'Avignon

En hommage à cette terre du Vaucluse qu'ils aimaient tant, ils écrivent tous les deux La postérité du soleil, née écrit René Char « de la rencontre d’une jeune photographe, Henriette Grindat, du plaisir que Camus prenait de plus en plus à parcourir ce pays, et de mon désir [...] d’obtenir des images, des portraits, des paysages du Vaucluse qui différeraient des photographies cartes postales. » Le livre, désormais tome IV de la Pléiade, commence par un poème de Char, De moment en moment, et se clôt par l’un des rares textes que le poète ait consacrés à son ami Camus, Naissance et jour levant d’une amitié.  

Dans un texte de 1948, Camus écrit pour une émission radiophonique à propos de Char : « Et une grande voix vient de s’élever dont la solitude même nous délivre de notre solitude. »

           

Après l'accident de voiture qui emporta prématurément Albert Camus le 4 janvier 1960, René Char rendra hommage à son ami disparu dans ce poème intitulé L'éternité à LourmarinCamus est inhumé :
 « Il n'y a plus de ligne droite ni de route éclairée
avec un être qui nous a quittés. Où s'étourdit
notre affection? Cerne après cerne, s'il approche
c'est pour aussitôt s'enfouir. Son visage parfois
vient s'appliquer contre le nôtre, ne produi-
sant qu'un éclair glacé. Le jour qui allongeait
le bonheur entre lui et nous n'est nulle part.
Toutes les parties- presqu'excessives -d'une
présence se sont tout à coup disloquées. Routine
de notre vigilance...Pourtant cet être supprimé
se tient dans quelque chose de rigide, de désert,
 d'essentiel en nous, où nos millénaires ensemble
font juste l'épaisseur d'une paupière tirée.
Avec celui que nous aimons, nous avons cessé
de parler, et ce n'est pas le silence. Qu'en est-
il alors? Nous savons ou croyons savoir. Mais
seulement quand le passé qui signifie s'ouvre
pour lui livrer passage. Le voici à notre hauteur,
plus loin, devant.
A l'heure de nouveau contenue où nous question-
nons tout le poids d'énigme, soudain commence
la douleur, celle de compagnon à compagnon,
 que l'archer, cette fois, ne transperce pas. »
                                                              CHAR par CAMUS

« Ce n'est pas si facile de devenir ce qu'on est, de retrouver sa nature profonde. »    Albert Camus

Char est né dans cette lumière de vérité. Et il est profondément significatif que les paroles de guérison nous viennent de cette Provence hautaine et tendre, funèbre et déchirante dans ses soirs, jeune comme le monde dans ses matins et qui garde, patiemment, comme tous les pays de la Méditerranée, les fontaines de vie où l’Europe épuisée et honteuse reviendra un jour s’abreuver.


Du soleil la poésie de Char a l’obscurité fugitive. A deux heures, quand la campagne est recrue de chaleur, un souffle noir la recouvre, mais cet éclat resplendit en lui-même et, dans le poème, ce point noir solidifie autour de lui de vastes plages de lumière où les visages se dénudent. De même chaque fois que la poésie de Char semble obscure, c’est par une condensation furieuse de l’image, un épaississement de la chair où notre imagination décharnée ne peut pénétrer, non par un usage impuissant de l’abstraction. Midi reçoit ici sa place, au centre exact, et des torrents d’images chaleureuses tournent autour de son foyer mystérieux.


Mais la lumière du Vaucluse, patrie de Char, se compose avec l’eau et le vent. Ce pays n’a pas la splendeur immobile et desséchante des plaines d’Afrique ou d’Espagne. Un vent royal irrigue son ciel, faisant retentir les combes du Luberon d’un bruit d’eaux fraîches et tumultueuses. Une étrange et pure rivière, la Sorgue (aux flots verts et glacés), toujours parée de traînes fleuries, fait les terres somptueuses. Tout se mêle ici dans les forces naturelles et c’est au nœud de cette claire contradiction au point d’appui de la création même, que Char trouve son inspiration la plus mystérieuse, délivrant un à un ces esprits solaires qui brûlent et purifient l’ulcère du monde.

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