mercredi 6 mai 2020

Albert Camus Carnets III


Référence : Albert Camus Carnets III, Mars 1951-décembre 1959, éditions Gallimard, collection Blanche, 280 pages, 1989
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« J'ai mis dix ans à conquérir ce qui me paraît sans prix : un cœur sans amertume. »
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La tenue de ces Carnets fut pour Albert Camus une façon de consigner ses réflexions, des extraits de lecture, des ébauches de romans, des anecdotes. Il les tiendra quasiment toute sa vie, de l'âge de vingt-deux ans jusqu'à sa mort et avait prévu leur publication en mettant au propre les notes prises au fil des jours, parfois en style télégraphique.
Mais ils ne parurent qu’après sa mort, repris par sa femme Francine Camus et Roger Quilliot, auteur d’un remarquable essai sur Camus intitulé La mer et les prisons, les deux premiers en 1962 et 1964, supervisés par les amis Jean Grenier et René Char

Le tome I paru en 1962 couvre la période  mai 1935-février 1942 et contient des notations sur Noces, La Mort heureuse, L'Étranger, Le Mythe de Sisyphe ou Caligula. Le tome II qui va de janvier 1942 à mars 1951, rassemble des textes allant de la période de "L’Étranger" à "L'Homme Révolté" en passant par "La Peste". 

Si Camus considérait plutôt les deux premiers comme des instruments de travail, le dernier est constitué aussi de notations plus intimes, apparaissant quelque peu décousu, fait d’éléments épars, parfois de quelques lignes ou d'une seule phrase. On voit mieux l’homme et son environnement avec sa famille, ses amis, des allusions aux courriers qu’ils échangent, ses engagements toujours nombreux, l'avancement de ses livres et ce temps qui lui file entre les doigts.

Il est ainsi possible de suivre l’évolution de son état d'esprit, parfois plus serein, parfois plombé par les difficultés, comme cette réflexion désabusée : « Trois ans pour faire un livre, cinq lignes pour le ridiculiser et des citations fausses, » et qui, comme souvent, doute de son talent, de sa vocation car écrit-il « les doutes, c’est ce que nous avons de plus intime. »
           
                           Avec Mett Ivers et les Gallimard à Lausanne 31/10/1959

Il balance souvent entre optimisme et pessimisme, alternant réflexions lucides du genre « j'ai toujours pensé que si l'homme qui espérait dans la condition humaine était un fou, celui qui désespérait des événements était un lâche » et sans illusions car « si l'homme échoue à concilier la justice et la liberté, alors il échoue à tout. » 

Dans la période couverte par le tome III, entre 1951 et 1959, Albert Camus écrit L’Été, La Chute, L’Exil et le royaume. On suit ses réactions suite aux polémiques déclenchées par la publication de L’Homme révolté, à la tragédie de la guerre d’Algérie, ses voyages en Italie,  en Grèce et à Stockholm pour la réception de son  prix Nobel… On y décèle son désir d’harmonie, malgré toutes les difficultés, « à travers les chemins les plus raides, les désordres, les luttes ».‎
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Du 9 juin au 6 juillet 1958, il est en Grèce avec les Gallimard et quelques amis. Après la visite d'Athènes, de l'Acropole et de Rhodes, il se laisse porter d'île en île au gré des flots et des îles visitées, Kos. Psameros, Kalimnos, Patmos, Samos, Chios, Mytilène... et retour par Corinthe et Olympie
C'est pendant ce voyage que paraît Actuelles III qu'il titra finalement Chroniques algériennes, choix d'articles sur l'Algérie, des premiers au temps d'Alger-Républicain aux plus récents. En quelque sorte, son testament sur l'Algérie, après il n'aura rien à ajouter qui pût apporter une aide quelconque à une solution raisonnable.
Ce qu'on ne manqua pas de lui reprocher...
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La une de Combat

L’année 1959 –sa dernière année- est d’abord consacrée à son adaptation des Possédés de Dostoïevski : articles et interviews se succèdent avec comme point d’orgue la Première le 30 janvier. En mars, il est à Alger au chevet de sa mère malade.


À partir de fin avril, il sera souvent à Lourmarin où il prend des notes pour une adaptation de Macbeth de Shakespeare et surtout s’attelle à l’écriture du Premier homme qu’il espère mener à bien en huit mois. Il se dit alors sous le signe de « la solitude et de la frugalité. » Son activité ne sera guère entrecoupée que par un voyage à Venise début juillet puis par la préparation des fêtes de fin d’année qu’il passera avec Francine et les jumeaux ainsi qu’avec la famille Gallimard remontant de la Côte d’azur avant de regagner Paris où il n’arriveront jamais.

Les notations contiennent parfois cette touche de lyrisme qu’on trouve dans ses récits et traduisent assez souvent son humeur, comme cette phrase écrite au fil de la plume : « Chaque matin quand je sors sur cette terrasse, encore un peu ivre de sommeil, le chant des oiseaux me surprend, vient me chercher au fond du sommeil, et vient toucher une place précise pour y libérer d’un coup une sorte de joie mystérieuse. Depuis deux jours il fait beau et la belle lumière de décembre dessine devant moi les cyprès et les pins retroussés. »
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On pourrait choisir d’autres exemples, simples notations comme « j'aime les petits lézards aussi secs que les pierres où ils courent. Ils sont comme moi, d'os et de peau » en juin 1959 ou plus mélancoliques comme « certains soirs dont la douceur se prolonge. Cela aide à mourir de savoir que de tels soirs reviendront sur la terre après nous. »
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Le Vaucluse et Lourmarin l’inspirent aussi beaucoup, il s’y sent bien, loin de Paris et du "microcosme", quand il écrit « Vaucluse. La lumière du soir devient fine et dorée comme une liqueur et vient dissoudre lentement ces cristaux douloureux dont parfois le cœur est blessé » ou quand il arrive chez lui, même s’il a plu et qu’il est fatigué, « 28 avril 59. Arrivée Lourmarin. Ciel gris. Dans le jardin merveilleuses roses alourdies d'eau, savoureuses comme des fruits. Les romarins sont en fleurs. Promenade et dans le soir le violet des iris fonce encore. Rompu. » 

Parfois aussi, se laissant aller à une certaine amertume comme cette confidence de mai 1959 : « le théâtre au moins m'aide. La parodie vaut mieux que le mensonge : elle est plus près de la vérité qu'elle joue. »
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« Rien n'est plus méprisable que le respect fondé sur la crainte.  » (Carnets II)« Vieillir, c'est passe de la passion à la compassion.  » (Carnets II)
« La démocratie, ce n'est pas la loi de la majorité, mais la protection de la minorité.  » (Carnets III)

Année 1959 : les 3 séjours à Lourmarin
- séjour 1 : du 28/04 au 28/05
- séjour 2 : du 9/08 au 2/09
- séjour 3 : du 14/11 au 3/01/1960

Voir aussi
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Camus au jour le jour en 1958 et en 1959 -
* Le cahier VIII
des Carnets III -
 * Le voyage en Grèce dans les Carnets -
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<< Ch. Broussas Camus Carnets III 07/05/2020 © cjb © >>

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jeudi 30 avril 2020

Albert Camus et la Grèce

     
Camus lors du voyage en Grèce de 1955


« Ces vingt jours de courses à travers la Grèce, je les contemple d’Athènes maintenant, avant mon départ, et ils m’apparaissent comme une seule et longue source de lumière que je pourrai garder au cœur de ma vie. » (Albert Camus, Carnets III).

Il rêvait de la Grèce comme d’une espèce de paradis perdu, il rêvait d’un voyage comme d’une communion. Déjà en 1936, il notait dans ses Carnets : « Voir la Grèce. Rêve qui faillit ne jamais s'accomplir. » Mais il rencontra longtemps des contretemps dus à la maladie et à la guerre… jusqu’aux deux voyages qu’il put enfin réaliser en 1955 et en 1958.
Ce rêve, on le voit se former dans la préparation du voyage avorté de septembre 1939, prenant beaucoup de notes sur les mythes et les légendes des grecs, déplorant dans Prométhée aux enfers en 1946 l’abandon de ce « projet somptueux de traverser une mer à la rencontre de la lumière. » Il l’évoque aussi dans Retour à Tipasa en 1952, constatant que « la guerre était venue jusqu'à nous, puis avait recouvert la Grèce elle-même. »   

Comme à son habitude, Camus nota dans ses Carnets les événements et ce que  lui inspirait son voyage, ce que lui évoquaient les lieux visités, les émotions qu’ils suscitaient.
Ses notes révèlent la profonde interrelation avec son œuvre antérieure et l’évolution de son état d’esprit.   

      
« Nous vivons ainsi le temps des grandes villes. Délibérément, le monde a été amputé de ce qui fait sa permanence : la nature, la mer, la colline, la méditation des soirs. » (L'Exil d'Hélène, 1940)


Le premier voyage au printemps 1955
Camus profite d’une invitation à un colloque de l’Union culturelle gréco-française sur "L’avenir de la civilisation européenne" pour se rendre à Athènes, visiter l’Acropole, « la lumière de 11 heures tombe à plein, […] entre dans le corps avec une rapidité douloureuse… le nettoie en même temps. [...] Les yeux s’ouvrent peu à peu et l’extravagante… beauté du lieu est accueillie dans un être purifié, passé au crésyl de la lumière. » C’est comme un bain de jouvence qui le lave des salissures de l’Europe occidentale. Son moral s’améliore rapidement et il peut écrire le 11 mai à son ami René Char : « Je vais revenir debout, enfin. »

Puis il part visiter les îles où il retrouve la lumière solaire d’Algérie, écrivant, toujours à René Char depuis l’île de Lesbos : « Je vis ici en bon sauvage, naviguant d’île en île, dans la même lumière qui continue depuis des jours, et dont je ne me rassasie pas. »

On peut le suivre presque à la trace à travers les nombreuses notations qu’il consigne dans ses Carnets.
À Mycènes, il est fasciné par la forteresse « couverte de coquelicots, » à Délos il écrit que « toute la Grèce que j’ai parcourue est en ce moment couverte de coquelicots et de milliers de fleurs. »

 
Avec Michel Gallimard, sur son bateau

Au cap Sounion, c’est la quiétude : « Assis au pied du temple pour s’abriter du vent, la lumière aussitôt se fait plus pure dans une sorte de jaillissement immobile. Au loin des îles dérivent. Pas un oiseau. La mer mousse légèrement jusqu’à l’horizon. Instant parfait. »

C’est toujours cette lumière pure qui le subjugue en Argolide : L’Argolide : « Au bout d’une heure de route, je suis littéralement ivre de lumière, la tête pleine d’éclats et de cris silencieux, avec dans l’antre du cœur une joie énorme, un rire interminable, celui de la connaissance, après quoi tout peut survenir et tout est accepté. »
Le plaisir des sens, c’est aussi Mikonos et l'odeur entêtante du chèvrefeuille, Lindos et « l’odeur  d’écume, de chaleur, d’ânes et d’herbes, de fumée… »

Comme à Tipasa, Camus respire les exhalaisons des plantes écrasées de soleil, comme si pendant ce temps, la tuberculose s'éloignait de lui, au Pirée, il est heureux de "sentir" l'eau et à Salonique, c'est « la belle odeur de sel et de nuit » et les baignades lui rappellent les plages d'Alger...

         
Albert Camus avec sa fille Catherine Grèce, 1958   
Albert Camus & Michel Gallimard, Grèce, 1958

Le second voyage à l'été 1958
Ce second voyage en juin 1958 durera une vingtaine de jours. Là encore, Camus renoue avec ses souvenirs de jeunesse et les plages d'Alger comme il l'écrit dans cette lettre à son ami Jean Grenier : « Je quitte le bateau le matin tôt, seul, et vais me baigner sur la plage de Rhodes à vingt minutes de là. L’eau est claire, douce. Le soleil, au début de sa course, chauffe sans brûler. Instants délicieux qui me ramènent ces matins de la Madrague, il y a vingt ans, où je sortais ensommeillé de la tente, à quelques mètres de la mer pour plonger dans l’eau somnolente du matin. »

Si ce voyage effectué en pleine été, souvent sous une chaleur suffocante, est plus fatigant que le précédent, ainsi revenu à Athènes, il note simplement « Chaleur. Poussière » et ne lui permet pas de retrouver la magie du printemps et de ses effluves, il va revenir en France le cœur plus léger, ragaillardi par cette rupture avec Paris et ses détracteurs. 

              
Andrée Fosty, Camus & la Grèce 

Camus se sent attiré par le sens de la perfection des Grecs, « Tout ce que la Grèce tente en fait de paysages, elle le réussit et le mène à la perfection. » (Carnets, Delphes, 10 mai 1955). Cette perfection est l'expression de l'équilibre entre la nature et l'action de l'homme et prend ses racines dans ce paradoxe qui l'étonne : « Ce monde des îles si étroit et si vaste me paraît être le cœur du monde. »

Ces paysages sont pour lui le contraire du Brésil qu'il juge immense et étouffant. Toutes ces îles recomposent un monde spécifique qui tend à la perfection née d'une subtile conjonction entre terre, mer, ciel et hommes, ce qui lui fait dire à Délos : « Je peux regarder sous la droite et pure lumière du monde le cercle parfait qui limite mon royaume. »

Pour lui, comme il le note dans le tome III de ses Carnets, la Grèce représente « comme une île énorme couverte de fleurs rouges et de dieux mutilés dérivant inlassablement sur une mer de lumière et sous un ciel transparent. Retenir cette lumière, revenir, ne plus céder à la nuit des jours. »
Il a en quelque sorte reconnu son royaume et son exil finira très bientôt dans sa thébaïde de Lourmarin qui possède comme un air d'Algérie




Voir aussi
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Pour des détails sur le voyage de 1958, du 9 juin au 6 juillet, voir Camus au jour le jour 1958 et le cahier VIII des Carnets
* Le voyage en Grèce dans les Carnets --

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<< Ch. Broussas, Camus et la Grèce 30/04/2020 © • cjb • © >>
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lundi 20 avril 2020

Albert Camus, 60 ans déjà !

« Décidément, Camus n'en finit pas de redevenir actuel ou "à la mode" » écrivaient déjà JF. Payette & L. Olivier en 2004 dans leur livre "Camus, nouveaux regards sur sa vie et son œuvre"

2013 avait été l’occasion de fêter le centenaire de la naissance d’Albert Camus. Au-delà des réimpressions de ses œuvres majeures, on en avait profité pour éditer trois correspondances inédites dont j’avais rendu compte à l’époque. [1]


        
                                       Albert Camus et ses jumeaux Jean et Catherine


2020 est cette fois l’occasion de fêter le soixantième anniversaire de sa disparition. Déjà un premier ouvrage dû à Vincent Duclert et intitulé "Camus, des pays de liberté" [2] lui est consacré et d’autres vont suivre dans le courant de l’année pour donner à cet événement toute son ampleur. On peut noter également la parution en format de poche de sa correspondance avec son ami Louis Guilloux. [3]

           

4 janvier 1960 : c’est la stupeur. Le prix Nobel Albert Camus décède dans un banal accident de la route en revenant de sa résidence de Lourmarin dans le Vaucluse. Un pneu éclaté dit-on, de la Facel-Vega de son ami Michel Gallimard, sur une route de l’Yonne.

On a d’ailleurs retrouvé son manuscrit échoué à côté du véhicule. Albert Camus entamait alors un nouveau cycle d’écriture, après l’absurde et la révolte allait venir le temps de l’amour sous la forme de son nouveau roman, largement autobiographique, Le Premier Homme. [4]

     
                                   
Albert et Francine Camus


L'hommage est à la hauteur de l'événement. Même Jean-Paul Sartre avec qui il s’était brouillé après la parution de L’homme révolté [8], écrivit juste après sa disparition dans un texte plein de "ressentiment refoulé", « il était un de ces hommes rares… On vivait avec ou contre sa pensée, telle que nous la révélaient ses livres […] Il représentait en ce siècle, et contre l'Histoire, l'héritier actuel de cette longue lignée de moralistes dont les œuvres constituent peut-être ce qu'il y a de plus original dans les lettres françaises. (Texte publié le 7 janvier 1960 dans « France Observateur ».)

René Char
, peut-être son ami le plus proche, écrira un texte si émovant et d'une grande retenue intitulé L’éternité à Lourmarin, où il écrit ces mots si justes : « Avec celui que nous aimons, nous avons cessé de parler, et ce n’est pas le silence. »

    


Beaucoup se demandent ce qui peut expliquer le succès de Camus, qui ne s’est jamais démenti depuis sa mort, alors qu’il a été si critiqué de son vivant, et même si l’un de ses rares détracteurs Jean-Jacques Brochier l’avait qualifié de « philosophe pour classes terminales ». [5]
Cet engouement vis-à-vis de l’homme et de son œuvre a aussi son revers : brouiller son message, aller au-delà de sa pensée par des interprétations contestables.

      Albert et son frère aîné Lucien vers 1920

 Vincent Duclert a au moins le mérite de bien définir ce qui en fait la particularité, "le mystère Camus" : « Chez Camus, il y a une association très intéressante entre les idées mais aussi l'émotion, ce qui fait que les idées ne sont pas abstraites et elles sont bien transmises parce qu'il y a cette émotion qui nous rend très proches de Camus. Tout son travail, y compris son travail de journaliste, c'est d'être très précis sur les faits et en même temps de donner une force, une éloquence à son analyse de l'actualité. »

   

Voilà qui est dit. C’est aussi l’idée que rien ne peut se dissocier, qu’on ne peut séparer le penseur et l’écrivain de l’homme et du citoyen. Cette identité entre l'homme est son oeuvre se retrouve dans cette citation : « Je marche du même pas comme artiste et comme homme. Révolte et absurde sont des notions profondément ancrées en moi, mais j'ai su en faire la critique. »Sa ligne de conduite n'a pas varié, marquée par ce que j'avais appelé dans un article précédent La permanence camusienne
 
Sans aucun doute, Camus a incarné cette osmose, son engagement est toujours mûrement réfléchi, pesé et en harmonie avec sa ligne de conduite, sa déontologie, même quand son cœur saigne et que l’émotion pourrait déborder sa réflexion comme dans son action en faveur d’une solution négociée en Algérie. C’est sans doute cette rigueur qui lui a permis de ne pas se laisser déborder par ses sentiments et de refuser de céder au conformisme de son époque, de se laisser porter par « l’air du temps » comme disait son ami Jean Daniel. [6]
 
Dans Actuelles I, il a écrit cette phrase lourde de sens : « Il s'agit de servir la dignité de l'homme par des moyens qui restent dignes au milieu d'une histoire qui ne l'est pas. » 


 
Camus & sa fille Catherine

Du refus au consentement

L’émotion dont parle Vincent Duclert est toujours canalisée, contextualisée, même quand il prend la parole dans des meetings où il défend sa conception de la liberté contre les dictatures de tous bords ou quand il dénonce le franquisme avec ses amis républicains espagnols. [7] Sa volonté, son engagement nourrissent une pensée qui est le fondement de son action. 

D’un point de vue conceptuel, la pensée de Camus part d’une constante qu’on trouve dans ses premiers écrits, en particulier la nouvelle "Entre oui et non" de son recueil L’Endroit et l’envers comme dans son dernier recueil intitulé à dessein "L’exil et le royaume". Le thème du balancement cher à Camus évolue entre "Oui et Non", cherchant un équilibre entre refus et consentement, comme il évolue entre "L’exil et le royaume", entre deux entités séparées, la mort à l’horizon qu’il considère comme un exil et une terre promise qu’il définit comme un royaume.

Le nœud de sa pensée, c’est cette recherche d'équilibre entre les deux fléaux de la balance, qui représente ce qu'il nomme "la recherche de la mesure" car les deux entités qui oscillent entre le bien et le mal, entre l’exil et le royaume sont pour Camus indissolublement liées, prenant leur sens et leur richesse dans la confrontation.

Notes et références
[1]
  Voir mon article intitulé Le centenaire de sa naissance et la présentation des correspondances de Camus avec Roger Martin du Gard, Francis Ponge et Louis Guilloux --

[2]  Voir mon article Vincent Duclert, Camus des pays de la liberté --
[3]
  Voir mon article Correspondance Camus-Guilloux --

[4]
Voir mon article présentant Le Premier homme --
[5]
Voir mon article sur l’essai de JJ. Brochier Camus, philosophe pour classes terminales --
[6]
Voir mon article sur l’essai de Jean Daniel, Avec Camus, comment résister à l’air du temps ? --
[7]
Voir mon articleAlbert Camus et l’Espagne --[8] Il écrit alors dans ses Carnets, « Même ma mort me sera disputée. Et pourtant ce que je désire de plus profond aujourd'hui est une mort silencieuse, qui laisserait pacifiés ceux que j'aime. » (Albert Camus  "Carnets" 1949-1959)

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Vincent Duclert, Camus, des pays de liberté

Référence : Vincent Duclert, Camus, des pays de liberté, Éditeur Stock, 300 pages, janvier 2020

            
« Le sentiment des lieux menait aux pays de liberté... » (page 318)

Après l’hommage marqué qu’a reçu Albert Camus en 2013 pour le centenaire de sa naissance, [1] c’est en cette année 2020 l’occasion de fêter le soixantième anniversaire de sa disparition. Ce livre de Vincent Duclert, intitulé Camus, des pays de liberté, est le premier d’autres ouvrages qui marqueront certainement cette année particulière.
Déjà l’on voit fleurir dans les librairies ses livres les plus connus ou d’autres ouvrages comme la parution en format de poche de sa correspondance avec son ami Louis Guilloux. [2]

Beaucoup ont tenté de savoir ce qui faisait la spécificité d’Albert Camus, ce qui expliquait le succès dont il a bénéficié depuis son brusque décès le 4 janvier 1960 dans un accident de voiture sur une route de l’Yonne. Vincent Duclert s’y colle ici, essayant surtout à travers sa vie et ses essais, de cerner cette personnalité à la fois multiple et marquée par une grande rectitude. 

         

Il y voit une espèce de présence assez mystérieuse somme toute puisqu’elle lui apparaît comme à la fois proche et impalpable, de celui qui proclamait déjà à Djémila : « Oui, je suis présent. »
C’est cette alchimie de l’homme qui l’a fasciné au point de lui donner envie d’écrire, loin de sa spécialité, un livre sur Albert Camus.


                 

Il veut également témoigner comme il dit de la « présence d’Albert Camus dans l’histoire et la géographie du monde », de « la trace en nous d’un homme disparu voilà des décennies…, » Pour cela,Vincent Duclert nous propose d’abord une partie biographique pour cerner son environnement, en particulier celui de sa jeunesse d’enfant pauvre évoluant dans cet Alger contrasté  où il habitait un quartier pauvre tout en allant au collège dans un quartier du centre ville beaucoup plus bourgeois.

            

Vincent Duclert  s’est aussi attelé à relecture des textes politiques de Camus [3] et sur les archives familiales pour montrer la constance de sa pensée à travers notamment sa lutte contre les totalitarismes de tous bords,  ce qui lui a valu bien des polémiques ou sa volonté d’apaisement et de réconciliation pendant la guerre d'Algérie, lui qui a refusé de choisir un camp entre ses amis pieds-noirs et ses amis nord-africains, dénonçant également la violence d'Etat et mettant au-dessus de tout la tolérance et la  liberté.


Il reprend les textes parus après la mort de Camus, partie qu’on peut trouver un peu scolaire, et surtout les lieux où il a résidé, où il a tenté de s’enraciner après le départ d’Algérie, ce que l’auteur appelle  ses « pays de liberté », qui ont donné son titre au livre.

L’objectif était sans doute trop ambitieux mais l’ensemble est bien écrit, d’une plume alerte, et on suit l’auteur sans peine dans le parcours de a pensée de Camus et sur les traces des lieux qu’il a parcourus.


     

N'empêche, le livre reprend les moments forts de la vie de Camus, par exemple les réactions du monde intellectuel et les attaques des sartriens après la parution de "L'homme révolté" que l’auteur décrypte longuement. Il insiste sur son anticolonialisme qu’on a parfois sous estimé, en insistant sur ses positions quant à la guerre d'Algérie et ses conséquences.

La preuve parmi d’autres, les lettres si émouvantes que l’écrivain Mouloud Ferraoun envoya à Francine Camus et auparavant à Albert Camus. Dans cette optique, son analyse permet de bien clarifier ses rapports avec les Algériens.

              

Notes et références
[1]
 Voir mon article Camus, Le centenaire de sa naissance --

[2]  Voir mon article Correspondance Camus-Guilloux --
[3]  Voir en particulier l’ouvrage Camus, Conférences et discours --
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