dimanche 23 mars 2014

Albert Camus, Synthèse des articles

Fichier:Albert Camus, gagnant de prix Nobel, portrait en buste, posé au bureau, faisant face à gauche, cigarette de tabagisme.jpg      Catherine Camus, dans la maison de Lourmarin. (Sipa) Sa fille Catherine

Qu'est-ce que le bonheur sinon l'accord vrai entre un homme et l'existence qu'il mène ? - Albert Camus

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Albert Camus-Jean Grenier Albert Camus-Jean Daniel
Avec Albert Camus tome I Avec Albert Camus tome II Albert Camus et René Char
Albert Camus-Michel Onfray
Autour de Camus Camus, L'ordre libertaire
Albert Camus à Paris Albert Camus en Bretagne Albert Camus à Briançon

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La mort heureuse Le Premier homme
L'envers et l'endroit Lettres à un ami allemand Réflexions sur la peine de mort
Corresp. Camus-Char Corresp. Camus-Grenier Corresp. Camus-Vinaver
Correspondances Centenaire Journaux de voyage Révolte dans les Asturies

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Ombre-Soleil, Roger Grenier Albert Camus par JC Brisville
Camus par Roger Quilliot (1) Camus par Roger Quilliot (2) Les cahiers Albert Camus
Camus par JJ. Brochier
Albert Camus libertaire Camus et l'Algérie
Camus, la parole manquante  L'engagement de Camus Camus et l'Espagne
Camus, Grenier et Guilloux        Louis Guilloux,

Voir aussi : Grenier à Simiane  --  Char et Boulez  --  Camus par JP. Sartre
Albert Camus (1913-1960) à Lourmarin Sa tombe à Lourmarin
* Photos d'Albert Camus  ----  * Photos de Lourmarin, --- * Le poète René Char

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vendredi 21 mars 2014

Albert Camus, Correspondances, Centenaire

Célébrer le centenaire de la naissance de Camus, ce n'est pas rien. A cette occasion, outre les manifestations prévues à Lourmarin et Aix-en-Provence, [1] trois livres sont parus dans la collection Blanche de Gallimard sur la correspondance de Camus avec Louis Guilloux, le poète Francis Ponge et le prix Nobel Roger Martin du Gard. D'autres ont déjà été éditées comme celles consacrées au poète René Char, au dramaturge Michel Vinaver et à "son maître" Jean Grenier [2] dont vous trouverez dans la dernière partie les liens pour accéder à mes fiches de lecture sur ces trois correspondances.

  Le livre du centenaire de sa naissance, 2013

« Je marche du même pas comme artiste et comme homme. Révolte et absurde sont des notions profondément ancrées en moi, mais j'ai su en faire la critique. »
 
1- Correspondance Albert Camus, Roger Martin du Gard (1944-1958)

 

 Édition de Claude Sicard, Collection Blanche, éditions Gallimard, 19 septembre 2013, 272 pages, Gencode : 9782070139255

Camus Gard.jpg    Albert Camus et Roger Martin du Gard

Grande amitié entre deux hommes très différents, une génération les sépare mais Camus remplit un certain vide que ressent Martin du Gard, écrivant à André Gide le 24 juin 1948: « Camus [...] est celui de sa génération qui donne le plus grand espoir. Celui qu’on peut ensemble admirer et aimer. » Une raison d'espérer de la littérature et dix ans plus tard, à la mort de son aîné, Camus note sobrement dans son Cahier : « On pouvait l’aimer, le respecter. Chagrin. »

Un respect qui confine à l'amitié entre les deux écrivains qu'on retrouve dans leur correspondance, partageant des valeurs communes, constamment au service de la paix, luttant contre l'injustice et la dignité de l'homme. Camus reconnaît et recherche la grande expérience de son aîné, la générosité d'un homme qui sait comprendre sans condamner et se méfie de « la fascination des idéologies partisanes» . 

Thème essentiel de "L'Homme révolté". Albert Camus est une lumière pour l'écrivain vieillissant et sceptique qui doute si souvent de lui-même, retrouvant dans les textes camusiens des thèmes comme la révolte ou la valeur de l'humaine nature qu'il développa naguère dans Jean Barois ou Les Thibault. On retrouve bien dans leur correspondance, cette chaleur, cette fraternité mélangée d'angoisse, de deux hommes qui se rejoignent dans une recherche constante de l'humanisme.

           
Camus-Martin du Gard      Camus-Louis Guilloux   Camus-Francis Ponge

2- Correspondance Albert Camus, Francis Ponge (1941-1957)
 
Édition de Jean-Marie Gleize, Collection Blanche, éditions Gallimard, 19 septembre 2013, 176 pages, Gencode : 9782070139279
                             Francis Ponge [3]                                Albert Camus

C'est le vieil ami algérois de Camus, Pascal Pia qui le présenta à Lyon le 17 janvier 1943 à un autre ce ses amis le poète Francis Ponge. Coïncidence, deux de leurs œuvres maîtresses, Le Parti pris des choses et L'Étranger, sont parues un peu plus tôt, pratiquement en même temps. Francis Ponge connaît déjà Le Mythe de Sisyphe qui fait écho à son propre questionnement sur le thème de l'absurde. Il se retrouvent ainsi sur une démarche parallèle même s'ils sont de tempérament très différent.

Cette amitié va surtout se traduire dans leurs "années de guerre" entre 1943 et 1945, moments privilégié pour réfléchir sur leur itinéraire littéraire et esthétique, même s'il évolueront un peu plus tard vers "l'objectivisme" pour Francis Ponge et vers l'univers poétique de René Char pour Albert Camus. Période d'autant plus importante pour Camus qu'il en profitera pour se fortifier des échanges de cette nouvelle amitié tout en reprenant un temps des forces dans un petit village de la Haute-Loire où il soignait sa tuberculose.

3- Correspondance Albert Camus, Louis Guilloux (1945-1959)
 
Édition d'Agnès Spiquel-Courdille,Collection Blanche, éditions Gallimard, 19 septembre 2013, 256 pages, Gencode : 9782070139262

         
Albert Camus et Louis Guilloux
« Je l'aime tendrement et 1952 je l'admire, non seulement pour son grand talent mais pour sa tenue dans la vie. » Louis Guilloux

C'est l'ami et maître d'Albert Camus, son ancien prof au lycée d'Alger Jean Grenier, qui lui a présenté son ami Louis Guilloux [4] chez Gallimard durant l’été 1945. Compréhension immédiate. Ils ont autant de différences que de points d'accord. Guilloux est un breton plutôt austère, habité par le doute alors que  Camus est un algérois, homme du sud recherchant la lumière.
Mais leurs affinités dominent les différences : « Je l'aime tendrement et je l'admire, écrira Guilloux en 1952, non seulement pour son grand talent, mais pour sa tenue dans la vie. » Ils ont connu tous les deux la pauvreté et la maladie, guidés par leur soif de justice, toujours du côté des des malheureux et des opprimés sans jamais s'inféoder à une idéologie, définissant leur conduite dans un moralisme qui leur est propre.

« Ils se sont attirés respectivement » constate Arnaud Flici, responsable du fonds Louis Guilloux. Journalistes pendant un temps, « influencés par les théoriciens russes de l'anarchie, (...) tous deux aspirent à un monde plus juste et plus fraternel » ajoute-t-il. De son côté, la fille de Louis Guilloux confie dans une interview : « J'avais 14 ans et demi quand j'ai connu Albert. On sortait à droite, à gauche, avec lui et mes parents. C'était très agréable. Plus tard, on a logé chez eux aussi à Paris. C'était vraiment comme de la famille. »

Leur longue correspondance d'une quinzaine d'années révèle une profonde affection, à travers une grande complicité ponctuée de nombreuses discussions, de promenades et de repas partagés. Elle fut marquée par le point d'orgue de la visite de Camus à Saint-Brieuc en 1947, durant laquelle le futur auteur du Premier Homme se rend pour la première fois sur la tombe de son père, enterré dans le carré des soldats de la Grande Guerre. [5] De la maison de Guilloux, on aperçoit le cimetière et, à cette occasion Camus retrouvera aussi son "mentor" Jean Grenier qui vit non loin d'ici. Les deux hommes partiront également sur les pas de Camus l'algérois en 1948 où, fait exceptionnel, Camus présentera le breton à sa mère restée à Alger et ils partageront tous les trois un repas.

Peu nombreux sont ceux qui, comme Louis Guilloux, pouvaient se permettre d'appeler le pudique Camus "vieux frère". Ils furent plutôt des "jokers" en politique, tentés dans leur jeunesse par le communisme. Quand Guilloux est à Paris, ils se voient presque chaque jour et il fera partie de ceux qui veilleront le cercueil de Camus, la nuit précédant son enterrement.

         

La Correspondance comprenant 63 lettres permet de suivre leur amitié littéraire. C'est à cet ami que Camus soumettra le manuscrit de La Peste, lui soumettant de nombreuses modifications, preuve cette dédicace en forme de reconnaissance que Camus a écrite sur l'exemplaire qu'il lui a remis : « À Louis Guilloux, puisque tu as écrit ce livre en partie. Avec l'affection de ton vieux frère, A. Camus ».

À l'occasion de la réédition du roman de Guilloux La Maison du peuple, Camus écrira en 1948 une importante préface qui contient cette phrase que certains comme Sartre lui reprocheront : « Presque tous les écrivains français qui prétendent aujourd'hui parler au nom du prolétariat sont nés de parents aisés ou fortunés. ». Lien intime qui unissait si bien ceux qui leur correspondance s'appelaient « cher Albert » et « bon Louis  ».

«Une bonne part de leur correspondance est consacrée à leur travail d'écrivain » écrit Agnès Spiquel-Courdille dans la préface de cette correspondance. Elle reprend cette phrase que Camus adresse à Guilloux à l'époque où il peinait à écrire La Peste : « Je ne connais personne qui sache faire vivre ses personnages comme tu le fais. »

Leur indéfectible amitié se retrouve bien dans la dédicace que Camus adresse à Guilloux en 1951, sur un exemplaire de L'Homme révolté : « pour toi, mon vieux Louis, ce livre dont tu es un des rares à savoir ce qu'il représente pour moi . Avec la fraternelle tendresse de ton vieux Camus ».

4- Exemple de lettres échangées
41 Louis Guilloux à Albert Camus - Lettre 20, 2 janvier 1947

Mon vieux,   J'ai été bougrement content de ta lettre et j'y aurais répondu aussitôt sans ces sacrées fêtes de Noël, Nouvel An, vacances et autres chienlits au cours desquelles je n'ai pas été seul une minute? Je n'ai rien foutu depuis 15 jours, pas même touché le porte-plume? Juge donc si j'étais dans des dispositions à t'écrire. Si ma lecture de ton texte t'a été utile, c'est la meilleure fête qui soit. Envoie-moi des épreuves. J'avais bien vu naturellement le truc du narrateur, mais je me sentais tout de même un peu gêné je ne sais pas pourquoi. J'attends de voir le remaniement au dernier chapitre. Je suis entièrement d'accord avec ce livre et ces directions, comme je suis d'accord avec les articles de Combat. J'attends d'avoir achevé mon propre boulot pour me mettre à dire publiquement un certain nombre de choses. Jusque-là, motus.
Que fais-tu? Donne des nouvelles! Francine est-elle partie pour l'Algérie? Comment vas-tu, et quand nous reverrons-nous? Je t'embrasse.
Louis Guilloux

Naturellement Charlot (Sans doute des manuscrits envoyés aux Éditions Charlot) qui devait m'envoyer des manuscrits à lire ne m'a rien envoyé; c'est dans l'ordre?

42 Albert Camus à Louis Guilloux - Lettre 21, 15 janvier 1947

Cher Guilloux,
Je pars demain pour Briançon (Camus part à Briançon en raison de sa santé. Sa famille est à Oran). J'ai passé une semaine abrutissante à m'occuper des affaires de Combat. Là-bas au moins je retrouverai un peu de solitude et de réflexion. J'en profiterai pour t'écrire autrement que de cette façon stupide. À moins que je ne réalise tout d'un coup ma fatigue et que je ne dorme pendant quinze jours.
Affectueusement
Camus




5- Mes autres articles sur la correspondance de Camus

* Correspondance Albert Camus-René Char
* Correspondance Albert Camus-Jean Grenier
* Correspondance Albert Camus-Michel Vinaver
* Albert Camus : récapitulatif  de mes articles
 

Notes et références
[1] Lourmarin où Camus avait sa maison, où il est enterré et Aix-en-Provence, dépositaire du fonds Albert Camus
[2] Voir aussi ma fiche Albert Camus et Jean Grenier
[3] Voir ma fiche sur Le poète Francis Ponge
[4] Fils d'un cordonnier de Saint-Brieuc où il situera plusieurs de ses romans, Louis Guilloux (1899-1980) est l'auteur de La Maison du peuple (1927) et du Sang noir (1935), avec son héros le personnage de Cripure, fut un militant antifasciste et accompagna André Gide dans son voyage en URSS, avant de se détacher du communisme. Il fut Prix Renaudot 1949 pour Le Pain des rêves, le traducteur de Steinbeck, l'adaptateur des Thibault pour la télévision et un militant actif du Secours populaire.
[5] Blessé au début de la Grande guerre en 1914, son père Lucien Camus est évacué à l'hôpital de Saint-Brieuc où il meurt peu après alors qu'Albert a un an. 

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Albert Camus et l’Espagne

 « C'est en Espagne que ma génération a appris que l'on peut avoir raison et être vaincu, que la force peut détruire l'âme et que, parfois, le cour age n'obtient pas de récompense. C'est, sans aucun doute, ce qui explique pourquoi tant d'hommes à travers le monde considèrent le drame espagnol comme étant une tragédie personnelle, la dernière grande cause. »
Albert Camus 


Camus en meeting à Paris pour la République espagnole


Dès l’enfance Albert Camus entretient un rapport particulier avec l’Espagne. Sa grand-mère et sa mère sont d’origine majorquine, il ira d'ailleurs faire un voyage aux Baléares- et ses premières années baignent aussi dans cet univers.  Plus tard, il sera attiré par la littérature espagnole, en particulier Cervantes, Tirso de Molina et Lope de Vega.
L'Espagne sera toujours présente dans son esprit, que ce soit dans sa première pièce écrite collectivement mais où on reconnaît bien son empreinte Révolte dans les Asturies [1] en 1934, qui  fait référence aux événements de la deuxième République et ensuite L’État de siège [2] dans une Espagne marquée par la révolte et l'absurde. Il sera aussi toujours aux côtés de mouvements anarchistes qu’il soutiendra tout au long de sa vie.

 Albert Camus et l'EspagneRencontres méditerranéennes

Les XXIes Rencontres méditerranéennes Albert Camus qui se sont tenues en 2004 [3] ont abordé la question de "l'hispanité camusienne", des origines plus levantines que castillanes semble-t-il, et les influences de cet état de fait non seulement dans son œuvre mais aussi dans les notes de ses Carnets et dans ses adaptations de La Dévotion à la Croix, de Calderon de la Barca ou Le Chevalier d'Olmedo de Lope de Vega. Ses nombreux articles aussi témoignent de son engagement, de ses prises de position en faveur de l'Espagne, déjà dans Alger républicain en 1938 puis dans des journaux et revues comme Combat, Preuves ou Témoins et concrétisent sa détermination de militer en faveur de la liberté de penser, de défendre ses convictions et la dignité de l'être humain.

Ils illustrent son soutien indéfectible à ceux qui souffrent, dans leur chair et dans leur pensée : " Ce que je dois à l'Espagne... symboles cette amitié dans l'Espagne de l'exil. [...] Amis espagnols, nous sommes en partie du même sang et j'ai envers votre patrie, sa littérature et son peuple, sa tradition, une dette qui ne s'éteindra pas. " (Ce que je dois à l'Espagne, 1958) Ainsi, il est présent parmi ceux qu'il considère comme des frères, restant toujours fidèle « à la beauté comme aux humiliés. »

Albert Camus ou l’Espagne exaltée

Le 22 janvier 1958, tout juste de retour de Stockholm ou il vient de recevoir le prix Nobel de littérature, Albert Camus part rejoindre les républicains espagnols en leur disant : "Je ne vous abandonnerai jamais et je resterai fidèle à votre cause !"


Meeting contre l'entrée de l'Espagne à l'UNESCO

D'origine espagnole par sa famille maternelle, il aima avec "désespoir" cette mère fragile et ce foyer espagnol qu'était Bab-el-Oued qui lui rappelaient l'Espagne. Il reçut comme un coup au cœur la guerre civile et la victoire du franquisme. Il y voyait des "ennemis de la liberté" et lutta constamment contre ce régime totalitaire et ceux qui comptaient composer avec lui, dénonçant l'irresponsabilité des Alliés lors du conflit mondial dans un pays où disait-il, "l'honneur avait encore tout son sens", rompant tout lien avec l'Unesco quand l'Espagne fut admise à l'ONU. [4]

« Tout comme il fut un Espagnol discret, il se montra un communiste discret » écrit Javier Figuero [5] Ses liens furent  encore resserrés lors de sa longue liaison avec l'actrice espagnole Maria Casarès et il ressentait cette séparation avec ce pays où il refusait de se rendre, comme une forme "d'exil". Son engagement aux côtés des Républicains espagnols eut des répercussions sur son œuvre dont la plus importante fut sa pièce de théâtre "espagnole" -puisqu'elle se déroule à Cadix- L'État de siège".

   

Camus et son engagement libertaire

Pour Albert Camus, la souffrance des peuples tombés sous le joug totalitaire était une préoccupation essentielle, aussi bien en Espagne que dans l'Europe communiste de l'Est où ses écrits furent toujours reçus avec chaleur. Pas de calculs, d'opportunisme dans son engagement, il dénonce tous les abus qu'ils viennent des staliniens en Europe de l'Est ou de l'excès des politiques libérales des pays capitalistes.

Ses éditoriaux en témoignent qui combattent parfois où la liberté est menacée, quand il écrit : « Je n'excuserai pas cette peste hideuse à l'Ouest de l'Europe parce qu'elle exerce ses ravages à l'Est, sur de plus grandes étendues  ». Pas étonnant dès lors qu'il fut autant attaqué. Sur l'Espagne, il n'a jamais varié d'un iota, fustigeant la régression du franquisme, [6] dénonçant tous ceux qui pactisaient avec ce régime totalitaire, étant constamment aux côtés des espagnols exilés, répondant à leurs sollicitations quand il fallait aider ou prendre la parole. [7]

Avec Fernando Gomez Pelaez, [8] il fait campagne dans les colonnes de Solidaridad Obrera pour la libération des espagnols antifascistes séquestrés à Karaganda. Il fut intransigeant face à un d'Astier de la Vigerie qui sous prétexte des horreurs du phalangisme, voulait excuser ce qui se passait à Moscou. De même, il mit les choses au point avec le philosophe Gabriel Marcel mécontent de sa pièce L'État de siège, qui justifiait le régime de Franco sous prétexte que le stalinisme était pis encore. [9]

Dans ce domaine, pas de compromis et les laxistes ne trouvaient pas grâce à ses yeux. On le trouvait toujours présent dans ses écrits autant que sur le terrain lors des campagnes d'aide -celle de la grève générale de Barcelone par exemple-, pour participer à l'action comme dans le cas des militants anarchistes condamnés à mort-, pour la protestation -dans es discours devant les exilés espagnols ou pour dénoncer l'entrée de l'Espagne à l'Unesco. N'a-t-il pas écrit que « le monde où je vis me répugne, mais je me sens solidaire des hommes qui y souffrent  ».



Notes et références
[1] Voir ma fiche Révolte dans les Asturies
[2] L'État de siège, l’intégral de la pièce
[3] Les rencontres méditerranéennes, octobre 2004, Lourmarin, Collection Les écriture du sud, éditions : Edisud, parution 09/01/2005, auteurs : Collectif Christiane Chaulet, Achour Rosa de Diego, Franck Planeille et Frédéric-Jacques Temple
[4] Camus 1952, La lettre à l’UNESCO
[5] Javier Figuero, "Albert Camus ou l'Espagne exaltée", éditions Autres temps
[6] Voir l'article L’Espagne et le donquichottisme, Camus, octobre 1957
[7] Voir Albert Camus, article de Combat 1944, Nos frères d’Espagne
[8] Voir Fernando Gomez Pelaez, Le Monde Libertaire n° 57, février 1960
[9] Voir Pourquoi l’Espagne ?, article de Combat 1948, Réponse à Gabriel Marcel

Voir aussi
* L’engagement de Camus : note sur l’Espagne
* Albert Camus : l’exigence morale pages 111 et suivantes
* Discours prononcé devant des réfugiés espagnols ayant fui le Franquisme, 1958, extrait
 * Camus l’artiste, colloque de Cerisay 2013
* Actuelles II : "L'Espagne et la culture", discours salle Wagram le 30 novembre 1952

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Albert Camus, Roger Quilliot (2)

La Mer et les Prisons 2ème partie

Roger Quilliot

Sommaire
8- Du bon usage des maladies           9- L'été : pèlerinage aux souces
10- Un monde anbigu : La Chute, L'exil & le royaume
11- Le déchirement algérien                 12- Les dernières années                  - Retour 1ère partie
 
8- Du bon usage des maladies
 
Un ouvrage comme "L'Homme révolté" ne peut pas susciter de tels remous, telles polémiques s'il ne constitue pas un manifeste politique. L'Homme révolté se penche sur la révolution et ses modes de fonctionnement, mais c'est aussi pour Camus l'occasion de mettre de la cohérence dans ses pensées, après tous les événements qu'il a traversés. Camus a voulu cet essai comme un prolongement au "Mythe de Sisyphe", une révolte existentielle contre l'absurde, et une réflexion sur les dérives sanguinaires des révolutions.
 

Pour Albert Camus, la nature humaine est faite d'une prise de conscience génératrice de révolte et du constat des limites humaines. Elle n'est pas ontologique, 'essence par définition', mais permanence dans cette contradiction et débouche sur la solidarité entre tous car écrit Camus « je me révolte donc nous sommes. » Cette permanence de la révolte prend sa source dans l'écart entre théorie et pratique de la liberté, « mystification de la bourgeoisie » qui la confisque à son profit [1].
 

De toute façon, la liberté absolue aboutit à l'ordre absolu. De cette évolution est né en particulier le nihilisme et « il s'agit de savoir si l'innocence, du moment où elle agit, ne peur s'empêcher de tuer. » Pour Camus, c'est une espèce de maladie [2] qu'il faut diagnostiquer et traiter et il s'emploie d'abord à recenser depuis 1789 les différents types de révolte. La question centrale est de savoir si la révolte au 20ème siècle est consubstantielle à la privation de liberté et au terrorisme [3]. Une certaine vision de l'absurde dominait le surhomme nietzschéen ou la démarche surréaliste mais elle a ensuite été déformée, réinterprétée par les tenants de la tyrannie [4].
 

La révolution française qui a chassé le divin, « substitue à la grâce les décrets d'une justice absolue », la loi devient le bien absolu [5] et doit être impérativement obéie. La volonté de perfection mène obligatoirement à la terreur. À cette révolution jacobine qui voulait fonder l'unité, « succèderont les révolutions cyniques, qu'elles soient de droite ou de gauche », constate Camus, de façon très amère [6]. C'est pourquoi la révolution communiste aboutit à ce que Roger Quilliot nomme « une théocratie athée » qui est un impérialisme et le marxisme « est une doctrine de culpabilité quant à l'homme, d'innocence quant à l'histoire. »
 

Selon Camus, il y toujours des libertés à conquérir [7] qui vont de pair avec la lutte contre l'injustice [8]. L'homme révolté doit ainsi parvenir à se libérer sans violence, rester vigilant pour dénoncer les abus et contraindre le pouvoir en place. Cette action mesurée faite dans le respect de l'homme, il la résume par cette formule la pensée méditerranéenne qui lui fut beaucoup reprochée. L’absurde est toujours là, rien n’est cohérent, mais rationnel et irrationnel s’équilibrent, rien ne nous est donné mais tout demeure possible… Camus est de ces hommes pourvus d’une grande sagesse, de ceux qui « refuseraient éternellement l’injustice sans cesser de saluer la nature de l’homme et la beauté du monde. »
 
9- L’Été : pèlerinage aux sources
 
Roger Quilliot a placé en exergue cette citation de Baudelaire : « Mon âme est un trois-mâts cherchant son Icarie. »
L'été, c'est la saison qui se prépare au cœur de l'hiver et dans l'alchimie du printemps. Ce cycle éternel qui va du sens au non-sens, du oui au non [9] rappelle les thèmes développés dans L'Envers et l'Endroit. Si ce livre avec ses nombreuses nouvelles paraît hétéroclite, il est traversé par des lignes de force qui lui confère une certaine unité. L'Algérie inspire trois des nouvelles présentées [10] car écrit Camus « j'ai ainsi avec l'Algérie une longue liaison qui sans doute n'en finira jamais et m'empêche d'être tout à fait clairvoyant à son égard. » Son ironie mordante lui sert à ailler la jeunesse algéroise qui va « se promener (ses) souliers sur les boulevards, » la rivalité avec Oran, la laideur de cette dernière qui tourne le dos à la mer.

Mais l'ironie [11] peut aussi se faire grave dans la courte nouvelle L'Énigme ou nostalgique dans Retour à Tipasa marqué par son contraste avec Noces à Tipasa. [12] En effet, Tipasa a bien changé depuis Noces, maintenant fermée, entourée de barbelés. Pourtant le soleil d'hiver est revenu et les héliotropes resplendissent. Ce méditerranéen convaincu qu'est Camus a aussi un faible, non seulement pour l'Italie [13] et Florence, mais aussi pour la Grèce.[14] Les Grecs ont combattu pour la beauté, celle d'Hélène, leurs dieux ont des faiblesses, leur humanité comme Empédocle ou Prométhée, ils ont marqué les limites humaines, ce thème central de L'Homme révolté. [15]

Le symbole de l'été, c'est aussi le rejet des villes ‘grisaille’ au soleil parcimonieux, de Paris à Lyon [16] qu'il connut pendant la guerre et Prague qu'il visita lors d'un voyage de jeunesse. Cependant, il s'installe à Paris, choisissant son exil comme Martha qui rêvait de soleil au fond de la Bohême [17] ou Rambert prisonnier de la peste à Oran. « Est-ce que je cède, écrit-il, au temps avare, aux arbres nus, à l'hiver du monde » ? Pour Roger Quilliot, en 1952 la lassitude l'emporte et il se demande si pour Camus l'art n'est pas devenu une prison, même s'il avoue qu'il préserve « au milieu de l'hiver... un été invincible. » C'est l'époque de la polémique autour de L'Homme révolté, c'est l'époque aussi où la maladie se réveille pendant son voyage en Amérique du sud. Il y a ainsi dans L'Été une ambivalence entre un livre solaire de la teneur de Noces et la gravité du propos, cachée sous l'ironie ou le lyrisme. C'est sans doute le dernier texte La mer au plus près, long poème en prose, qui en est la meilleure illustration. Dans ce texte inspiré du voyage en bateau en Amérique du sud il balance, ayant « toujours l'impression de vivre en haute mer, menacé, au cœur d'un bonheur royal. »

C'est d'abord la mer qui le délivre de ses prisons, « grande mer, toujours labourée, toujours vierge, ma religion avec la nuit ! » Derrière le lyrisme du style, filtre l'ironie de sa situation, « on me loue, je rêve un peu, on m'offense, je m'étonne à peine, » quand il y pense par instants, perdu dans l'immensité de l'océan, 'au plus près' des flots. On y retrouve, moins que dans Noces sans doute mais de façon différente, ce mélange de poésie et de réflexion qui en fait l'originalité. Comme il l'écrit dans Retour à Tipasa, « il y a aussi une volonté de vivre sans rien refuser de la vie, qui est la vertu que j'honore le plus en ce monde. »

10- Un monde ambigu

101- Le monde ambigu de La Chute

Albert Camus rêvait-il d’impossible, comme Jonas devant ne toile blanche ? Les projets ne manquent pas (adapter Les Possédés, développer le thème de l’exil ou Le Premier Homme) mais cinq longues années vont séparer L’Homme révolté de La Chute. C’est surtout dans la préface à la réédition de L’Envers et l’endroit où il écrit « toute mon œuvre est devant moi », que transparaît sa volonté de prendre un nouveau départ. Après le temps des polémiques, des engagements et du journalisme, vient le temps de dépasser l’impuissance de Jonas car écrit-il, « le malheur est à la fois d’être seul et de ne pouvoir l’être ». Il se reproche sa sécheresse, « de là cette raideur parfois ». Á chaque attaque, il a réagi, blessant à son tour, alimentant l’injustice.
 
Jusque là, il a dénoncé le crime légal avec Meursault, les tyrans comme les terroristes dans Les Justes, le fanatisme dans L’Homme révolté… Il n’est guère possible d’écrire impunément. Sartre lui reproche brutalement de vouloir « faire régner la loi morale » et de s’être intronisé « accusateur public ». « Je vivais impunément » dit Clamence, avant de recouvrer sa lucidité, « je reçus toutes les blessures en même temps et je perdis mes forces d’un seul coup. » [18] Roger Quilliot constate que La Chute est d’abord la fin d’une illusion. Camus rêve d’écrire le roman d’un lâche qui se croyait courageux, une espèce de Foucauld qui vivra jusqu’au bout sa déchéance comme le personnage du missionnaire. Á travers le personnage de Clamence, il va gratter sa face d’ombre, être « un Caligula qui n’accuse plus le monde mais lui-même. » Sous des dehors ironiques, il bar sa coulpe : il se trouvait « un peu surhomme (sur) son piédestal portatif ».
 
Reste encore les petites lâchetés, la résonance du rire déclinant, fameux rire poursuivant Clamence sur le pont des Arts. L’image que renvoie le miroir est sans concessions. Sartre ne s’y est pas trompé, lui qui avait connu une démarche similaire dans Les Séquestrés d’Altona, « dans ses yeux mourants, j’ai vu la bête toujours vivante, moi… ». De même dans Les Mots, il avoue : « Pour l’autocritique, je suis doué ». Jean-Baptiste Clamence, faux prophète d’une caricature évangélique qui prêche dans le désert, « vox clamens in deserto », faux prophète « pour temps médiocres ».
 
Les changements de style mélangeant répétitions, ellipses et ruptures de construction accentuent encore le discours d’une dérision mordante de Clamence. Si ce livre tient d’une « rancœur, d’une douleur à exorciser », d’une stigmatisation de certains intellectuels, il décrit aussi la contingence de l’être humain et de ses rêves. Régurgiter ses démons, c’est se débarrasser de ses remords de ne pouvoir atteindre l’absolu, de s’accepter tel qu’il est et de parvenir ainsi à « l’endroit des choses ». [19]
  
102- Le monde ambigu de L’Exil et le royaume

Pour Camus, « l’œuvre la plus haute sera toujours… celle qui équilibrera le réel et le refus que l’homme oppose au réel. » (Discours de Stockholm) Tout est lié dans ce schéma car il n’existe pas d’envers sans endroit, de réalisme sans rêve, d’exil sans royaume. Dans ces nouvelles de L’Exil et e royaume, la jeunesse de Camus, son adolescence, toute sa douleur d’algérien transparaissent dans ces personnages de gens du peuple « dans ce pays cruel à vivre, même sans les hommes qui pourtant n’arrangeaient rien.
 
C’est Janine, « La Femme adultère », celle qui trahit par ses rêves impossibles, « trop épaisses, trop blanches pour le monde où elle venait d’entrer » même si « elle oubliait le froid, le poids des êtres… la longue angoisse de vivre et de mourir. »
Daru aussi dans le sud algérien cèdera à ce sentiment de plénitude qui « buvait à profondes respirations la lumière blanche », même Le Renégat ressent cette excitation du soleil sauvage du Sahara et de sa blessure. Bouillant lyrisme d’un monde aride ou au contraire luxuriant de La Pierre qui pousse au Brésil où la fête célèbre la transe des filles qui dansent dans un temps suspendu. Pas plus que Janine et Daru, D’Arrast n’est à sa place dans cette fête où il se sent étranger, rejeté dans son exil.
 
L’unité de ces différentes nouvelles, c’est le dilemme qui agitent ces êtres, la blessure du malentendu : le peintre Jonas écartelé entre les obligations de l’art et celles de la gloire, Janine coincée entre ses rêves impossibles et le poids du passé, L’Hôte prisonnier de sa neutralité et des fanatiques qui le guettent, « tu as livré notre frère, tu paieras » lui écrit-on, les Muets partagés entre leur lutte professionnelle et la douleur d’un enfant, et même D’Arrast « tenté par la mystique communautaire et bientôt ramené à l’homme ».
 
Dans L’Envers et l’endroit, Camus écrivait quelque peu désabusé « qu’est-ce que ça fait si on accepte tout ?... Après tout, le soleil nous chauffe quand même les os. » (L’ironie) Quelque vingt ans après dans L’Exil et le royaume, le ton varie du lyrisme du Renégat au climat troublant de La Femme adultère ou au réalisme de L’Hôte et des Muets, il a rejoint l’exil mais le royaume est possible. Sauf pour Le Renégat, le missionnaire apostat, Camus parie malgré tout pour l’homme, pour que Le Premier homme puisse quand même au prix d’efforts incessants, reconstruire son univers. Depuis la voix ‘persiflante’ de Jean-Baptiste Clamence, il avance plus que jamais dans le doute, reprenant son parcours en écrivant : « On n’est sûr de rien, voyez-vous. »
 
 11- Le déchirement algérien

Cette guerre qui ne voulait pas dire son nom fut effectivement un terrible déchirement pour l’algérois qu’était quelque part resté Camus. Pourtant ses mises en garde n’avaient pas manqué, le sentiment que les occasions perdues déboucheraient tôt ou tard sur une situation ingérable et sur l’inéluctable. Á part trois exceptions notables, (Le Malentendu, Les Justes et La Chute), tous ses livres parlent de l’Algérie. Le balancement dont il parle, entre oui et non dans L’Envers et l’endroit, entre le dénuement dans le quartier de Belcourt et la richesse de la mer et du soleil, cette antithèse entre la beauté de Tipasa et l’aridité austère de Djémila.

L’Algérie est terre de contradiction et les hommes aussi, leur soif de vivre alliée à un désespoir de mourir qui les terrasse soudain ; contradiction pour lui insurmontable entre le goût du sang, la guerre inexpiable et cette ‘pensée de midi’ qu’il appelait de ses vœux. Beaucoup d’espoirs déçus : son adhésion au Parti communiste anticolonialiste, le plan Blum-Viollette jamais appliqué, sa dénonciation de la misère en Kabylie qui n’eut pas grand résultat. Et de fait la situation n’évolua guère par la suite.
 
L’injustice et la misère débouchent sur la révolte de SétifCamus se rend sans délais pour juger de la situation. Le temps est passé et l’assimilation n’est plus d’actualité. Camus se bat comme il peut avec sa plume, témoignant aussi pour ses amis musulmans. (à Blida en 1951 puis en 1953 et 1954) La rébellion qui éclate en 1954 est bien loin de la rigueur morale des Justes qui préféraient la vie d’un enfant à la mort du Grand-duc. En 1955-56, il rejoint l’Express espérant encore une solution pacifique, l’instauration d’une société multiculturelle, ce en quoi il tait beaucoup trop en avance sur son époque. Il se lance dans la campagne électorale, pense à une solution Pierre Mendès-France pouvant provoquer un électrochoc comme pour l’Indochine deux ans plus tôt.
 
Mais on sait ce qu’il en advint, le délitement rapide du Front républicain de Guy Mollet, l’appel au contingent, la terrible dualité attentats-répression. La déception de Camus fut à la hauteur de ses espoirs. La ‘trêve civile’ qu’il voudrait instaurer en se rendant à Alger le 22 janvier 1956 malgré les risques encourus, tourne court. Il va se sentir de plus en plus écartelé entre deux communautés irréconciliables, manipulées par des extrémistes. Désormais, rien n’y fera et ses ‘Chroniques algériennes’ (Actuelles III) passeront inaperçues, boycottées par la majorité des publicistes ; il constate que ses efforts ont été nuls jusqu’ici et que « ce livre est aussi l’histoire d’un échec. »
 
Si son action humanitaire fut ignorée, ses propos tenus à Stockholm, amplifiés et déformés, cette phrase surtout, « je crois à la justice, mais je défendrai ma mère avant la justice. » [20] Reste à savoir si cette phrase doit être prise dans un sens littéral ou symbolique. Il est vrai qu’en attendant que justice se fasse, nombre de mères étaient mortes en Algérie et que Camus se sentait de plus en plus exilé de son pays.

 12- Les dernières années

Une lettre à Pierre Berger indique bien l’état d’esprit du Camus d’alors, cet abattement qui s’est emparé de lui dans ses dernières années : « Certains matins, (je suis) découragé devant l’œuvre interminable à poursuivre, malade de cette folie du monde. » Depuis L’Homme révolté, sa production littéraire se résume à La Chute et à deux recueils de nouvelles. Malgré de nombreux projets, il se dirige vers des adaptations théâtrales, le siècle d’or espagnol a ses préférences avec La Dévotion à la croix et Le Chevalier d’Olmédo, mais aussi Faulkner avec Requiem pour une nonne et son cher Dostoïevski avec Les Possédés. Même le prix Nobel ne put le guérir de ce trouble persistant, « je sais qu’il arrive qu’on ait envie de disparaître, de n’être rien en somme… » confie-t-il à son ami René Char.
 
Il cherche, voudrait que son écriture traduise « l’unité d’un monde épars… les déchirements en termes d’équilibre ou de tension. » Á peine l’équilibre s’établit-il que Camus remet tout en cause, attiré par le malheur comme Meursault juste au moment du meurtre. Son ambivalence fondamentale –ce balancement, cette tension disait-il- tient dans ces mots qu’il écrivait à M. Mathieu dans une lettre de décembre 1958 : « Aimer la vie, après tout ce n’est pas seulement jouir de sa face de lumière, c’est aimer aussi sa face d’ombre, vouloir qu’elle soit, bénir l’ennemi, faire face au malheur. »

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Notes et références
  1. De l'ordre bourgeois, il dit que « son crime n'est pas tant d'avoir eu le pouvoir que de l'avoir exploité aux fins d'une société médiocre... qui tire ses jouissances du travail de millions d'âmes mortes. »
  2. Comme pour Lénine existait une « maladie infantile du communisme »
  3. Il fait sienne cette citation tirée de Les aventures de la dialectique de Merleau-Ponty : « Que toutes les révolutions connues dégénèrent, ce n'est pas un hasard... (elles) sont vraies comme mouvements et fausses comme régimes. »
  4. « La violence est sortie magnifiée de ces tentatives et l'ordre renforcé jusqu'à la dictature » écrit Roger Quilliot
  5. « La logique du bien absolu rejoint la logique du mal. » Roger Quilliot page 233
  6. « Pour tirer de la décadence des révolutions les leçons nécessaires, il faut en souffrir, non s'en réjouir » écrit-il dans la préface à 'Moscou au temps de Lénine'
  7. « Celles que nous avons... sont des étapes sur le chemin d'une libération concrète. » (Le pain et la liberté, Discours de Saint-Étienne du 10 mai 1953
  8. « Il est bien vrai qu'il n'y a pas de liberté possible pour un homme rivé au tour toute la journée et qui, le soir venu, s'entasse avec sa famille dans une seule pièce. » (Le pain et la liberté, opus cité)
  9. Entre oui et non, titre d'une des nouvelles de L'Envers et l'Endroit
  10. Ces trois nouvelles sont Le Minotaure ou la halte d'Oran, le Petit guide pour les villes sans passé et Retour à Tipasa
  11. L'ironie, est le titre de la deuxième nouvelle de L'Envers et l'Endroit
  12. Noces à Tipasa, est le titre de la première nouvelle de Noces
  13. L'Italie qu'on retrouve aussi bien dans L'Envers et l'Endroit que dans Noces
  14. Ressentant alors la frustration du voyage en Grèce, annulé en 1939 pour cause de guerre
  15. « Les Grecs n'ont jamais dit que la limite ne pouvait être franchie. Ils ont dit qu'elle existe et que celui-là était frappé sans merci qui osait la dépasser. Rien dans l'histoire d'aujourd'hui ne peut le contredire. » (cité dans le livre de Roger Quilliot page 252)
  16. Où il se maria avec Francine avant de partir s'installer avec elle à Oran, sa ville natale.
  17. Voir sa pièce Le Malentendu
  18. Voir Roger Quilliot page 265
  19. Voir ibidem page 278
  20. Le Monde du 14 décembre 1957

Infos complémentaires

Bibliographie
• Le minotaure ou La halte d'Oran, Albert Camus, fin 1939, repris dans le recueil L'Été
• Le témoin de la liberté, Albert Camus, allocution publiée dans la revue La Gauche en décembre 1948
• Devant la mort, J. Héon-Canonne, préface d'Albert Camus, souvenirs de résistance, juin 1951
• Chronique de ces années dans Albert Camus Actuelles I et Actuelles II ainsi que dans les Carnets (Camus)
• Documents sur La Peste : Archives de La Peste, avril 1947, cahiers de La Pléiade, l'exhortation aux médecins de la Peste, Club du Meilleur livre
• Emmanuel Roblès, Camus, frère de soleil, éditions Le Seuil, 1995
• Jacques Chabot, Albert Camus, la pensée de midi, éditions Édisud, Centre des écrivains du sud, 2002, isnb 2-74-490376-0
voir ma fiche-synthèse : [1]
• Pierre Nguyen-Van-Huy, La métaphysique du bonheur chez Albert Camus, Neuchâtel, La Baconnière, 1962
 
Voir aussi
• La Table ronde, numéro spécial, février 1960
• La Nouvelle Revue française, numéro spécial, mars 1960
• Société des études camusiennes : voir Société des études camusiennes
 
<< Christian Broussas – Feyzin, 8 décembre 2012 -<<< © • cjb • © >>