René Char,  une jeunesse vauclusienne à L'Isle-sur-la-Sorgue

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Né en juin 1907, René Char, est le petit dernier d'une fratrie de quatre enfants. Il passe toute son enfance aux « Névons », la vaste demeure familiale de L'Isle-sur-la-Sorgue, qui venait juste d'être terminée à sa naissance, où vit toute la famille avec les grands-parents maternels. Il est choyé, entouré de femmes avec la présence de sa grand-mère paternelle, sa sœur Julia, de dix-huit ans son aînée, sa marraine Louise Roze et sa sœur Adèle qui occupent une une vaste demeure en centre ville. Par contre, avec se mère, fervente catholique combattant les idées de son mari, les relations sont plutôt difficiles. Les vacances se passent non loin de là, dans une autre propriété familiale nommée La Parellie, située entre L'Isle-sur-la-Sorgue et le village de La Roque-sur-Pennes.

Son père Joseph Émile Magne Char, qui se fait appelé simplement Joseph Char, est un entrepreneur en plâtrerie fort connu dans le pays, administrateur délégué des "plâtières du Vaucluse", et deviendra maire de L'Isle-sur-la-Sorgue en 1905. Mais après sa mort d'un cancer du poumon en janvier 1918, la situation de la famille devient plus précaire, l'adolescent âgé de 11 ans est placé au lycée Mistral Avignon mais doit interrompre ses études pour raisons de santé et devient pensionnaire chez M. Robin, professeur de mathématiques, qui va l’initier à l’astronomie et à la théorie d’Einstein.



René se lie d'une longue amitié avec Louis Curel, un cantonnier communiste [1] ou Jean-Pancrace Nougier dit l'Armurier parce qu'il répare de vieux fusils, [2] le lutteur Apollon, les pêcheurs de la Sorgue, des gens simples qu'ils appellera plus tard Les Transparents.
 
Si, comme l'a écrit Jean Giono, [3] « l'enfance nous a donné une fois pour toutes notre teneur en poésie, » René Char a souvent célébré les chemins de son enfance vauclusienne. Il dit son bonheur d'expression dans son poème Le Thor, du nom d'une cité du Vaucluse « dans le sentier aux herbes engourdies, où nous nous étonnions, enfants, que la nuit se risquât à passer... Le Thor s'exaltait sur la lyre de ses pierres. Le mont Ventoux, miroir des aigles, était en vue. » L'écriture, dit René Char dans La bibliothèque est en feu, « me vint comme un duvet sur ma vitre, en hiver, » retrouvant la pudeur qui mène à la maturité, vers les rivages « de merveilleux, de rébellion et de bienveillance. » [4] Il chante son pays, sa chère rivière, émotion mêlée de nostalgie, « J'avais dix ans, la Sorgue m'enchâssait. Le soleil chantait les heures sur le sage cadran des eaux, » mais il se demande quand même quelle est  « cette roue » dans le cœur de l'enfant qui tourne plus vite que celle du moulin. 



D'un tempérament impulsif et passionné, c'est un gaillard de1,92 mètres qui aime jouer au rugby. Après de courtes études, il entreprend un voyage en Tunisie pendant l'année 1924 puis fait de petits boulots à Marseilledans les bars du Vieux Port, il vend du whisky et de la chicorée, Cavaillon dans une maison d'expédition de fruits et légumes tout en lisant beaucoup poètes français et romantiques allemands. Il aura la chance d'effectuer son service militaire à la bibliothèque des officiers à Nîmes dans l'artillerie, fera une première critique d'un roman d'André de Richaud [5] puis publie à compte d'auteur son premier recueil intitulé Les Cloches sur le cœur dont par la suite il détruira une grande partie des exemplaires et des deux textes sur la ville d'Uzès. [6] 

Le 2 Août 1929, René Char âgé de 22 ans, publie Arsenal [7] à Nîmes aux éditions Méridiens et en envoie un exemplaire à Paul Eluard qui en vante les qualités. L'automne suivant, Éluard lui rend visite chez lui à l'Isle sur la Sorgue et Char  à son tour part à Paris chez Éluard, y rencontre aussi André Breton, Louis Aragon et René Crevel. Rapidement, il adhère au mouvement surréaliste, collaborant au n° 12 de la Révolution Surréaliste avec un texte intitulé « Profession de foi du sujet ».

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Curieuse destinée que ces deux lieux essentiels de René Char, détruits, disparus comme s'il ne devait rien rester de lui chez lui à L'Isle-sur-la-Sorgue dans le Vaucluse.
L'exposition consacrée à René Char et à son oeuvre, implantée au deuxième étage de l’hôtel Donadéï de Campredon à L'Isle-sur-la-Sorgue, choisi de son vivant par le poète, a malheureusement vécue. La municipalité n'a pas cru devoir renouveler le contrat qui la liait à la veuve du poète qui a récupéré tout le mobilier et les objets qui constituait la partie musée qui lui était consacré.

Le Deuil des Névons [8] est une longue plainte poétique que René Char a écrite après la perte de la propriété de son enfance. Suite au décès de leur mère, les enfants se sont divisés : la maison sera vendue aux enchères et finalement détruite. L'Office HLM rasa les arbres du parc pour y construire des immeubles à loyer modéré.
Il ne reste rien du témoignage de la jeunesse de René Char, de la poésie qui se dégageait de cet environnement qu'il appelait aussi après ce saccage "le deuil d'enfance", qui avait joué son rôle dans la formation de son illustre poète. C'est dans ce lieu propice que Paul Eluard et André Breton rejoignaient leur ami et où ils composèrent "Ralentir travaux".

« Comment montrer, écrit René Char dans son poème d'ouverture de La Postérié du soleil, [9] sans les trahir, les choses simples, données entre le crépuscule et le ciel ? Par la vertu de la vie obstinée, dans la boucle du Temps artiste, entre la mort et la beauté. » Après la mort prématurée de son ami Albert Camus sur une route de l'Yonne le 4 janvier 1960, René Char écrira ce vers tiré de son poème L'éternité à Lourmarin : « Avec celui que nous aimons, nous avons cessé de parler mais ce n'est pas le silence. »

Aujourd'hui sur son tombeau, dans le petit cimetière de l'Isle-sur-la-Sorgue, parmi les herbes aromatiques, on peut encore lire cette inscription :
« Si nous habitons un éclair, il est le cœur de l'éternel. »
(René Char, le Poème pulvérisé, XXIV).


   
Avec le couple Eluard et Gali, la femme de Dali à Cadaquès en 1935

Notes et références
[1] Personnage qu'il dépeint sous le nom d'Auguste Abondance dans Le Soleil des eaux
[2] Personnage qui apparaît dans deux textes de Char, Le Poème pulvérisé et Le Soleil des eaux
[3] Dans sa biographie du poète Virgile
[4] Dans le poème Commune présence
[5] André de Richaud dont l'ouvrage "La douleur" paru en 1930, avait tant frappé son ami Albert Camus
[6] un texte sur la ville dUzès en 1928 dans La Cigale uzégeoise et l'année suivante un poème ancien dans Le Feu à Aix-en-Provence.
[7] Recueil de poèmes basés sur ses souvenirs d'enfance passée aux Névons
[8] Le deuil des Névons est scindé en 5 parties de longueurs différentes, repris dans La bibliothèque est en feu et autres poèmes du recueil La parole en archipel.
[9] La Postérié du soleil, coécrit par René Char et Albert Camus, éditions Gallimard, collection Blanche, 2009, isbn10 : (ISBN 2-07-012778-8), isbn13 : (ISBN 9782070127788)

 
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Char à Céreste pendant la guerre


Voir aussi
 * René Char, La petite mélancolie, René Char, biographie complète, Poème de René Char, Le deuil des Nevons, René Char et Albert Camlus
* L'article de CanalBlog sur René Char et L'Isle-sur-la-Sorgue,  Festival d'Avignon 2007, Claire, pièce de René Char, * René char, portrait par Corinne Amar
* Correspondance entre René Char et Albert Camus
* Marie-Claude Char, René Char. Dans l'atelier du poète, Paris, Gallimard, Quarto, 1996.
    
  Avec Gali Dali en Espagne   Avec Albert Camus à L'Isle-sur-la-Sorgue

Données complémentaires

Dans le parc des Névons
Ceinturé de prairies,
Un ruisseau sans talus,
Un enfant sans ami
Nuancent leur tristesse
Et vivent mieux ainsi.
Dans le parc des Névons
Un rebelle s’est joint
Au ruisseau, à l’enfant,
A leur mirage enfin.
Dans le parc des Névons
Mortel serait l’été
Sans la voix d’un grillon
Qui, par instant se tait.

Jouvence des Névons, René Char

Jouvence des Névons (René Char)             
Le parc des Névons

L'aiguille scintillait;
Et je sentais le fil
Dans le trésor des doigts
Qui brodait la baptiste.
(Le deuil des Névons - La Parole en archipel)
 
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