samedi 10 décembre 2016

Albert Camus-Abd Al Malik : "L’art et la révolte"


Référence : Abd Al Malik, Camus, l’art et la révolte, éditions Fayard, 192 pages, novembre 2016
Abd Al Malik, L’art et la révolte, Grand théâtre de Provence, spectacle musical inspiré de textes d’Albert Camus

  
« Dans une France où une figure internationale, médiatique, cohérente, courageuse, cherchant sans relâche un consensus pertinent et incarnant la grandeur des idéaux intellectuel et humaniste, est totalement absente, voici mon frère, voici notre héros : Albert Camus. » Abd Al Malik

Un rappeur, dites-vous, amateur de Camus ! Pourquoi pas finalement. Laissons-lui la parole…
« Tu as un gars qui vient d’une cité à Alger qui s’appelle Belcourt. Moi-même, je viens d’une cité. Tu as un gars qui est élevé seul par sa mère. Moi-même, j’ai été élevé seul par ma mère. Il dit qu’il faut tout faire pour rester fidèle aux siens, c’est-à-dire, les humbles. Il a grandi dans la misère, mais quand il est arrivé en métropole, il a vu que la misère des banlieues était injustifiée et injustifiable. Pour moi, j’ai un grand frère. Comme un mec en bas de l’immeuble qui me dirait que, pour m’aider dans mes velléités artistiques, il va m’expliquer comment ça se passe. Camus, c’est un gars de chez nous, c’est l’un des nôtres.
» Voilà pour l’identification sociale.

        

Il avait bien lu L’Étranger à l’école mais c’est un peu plus tard que chez un bouquiniste il tombe sur L’Envers et l’endroit. [1] C’est le déclic. « Tout est là dedans » conclut-il. Au départ, il est contacté par Dominique Bluzet et Catherine Camus [2] qui voulaient le faire travailler sur Le Premier homme mais il leur propose que ce soit plutôt L’Envers et l’endroit.

« Abd Al Malik. Albert Camus. Ça claque sous la langue comme une belle évidence, non ? Comme si le premier était né artiste pour faire sonner les mots percutants du second. Une belle évidence, oui. » La Provence


Ce qui les rapproche aussi, au-delà des origines : « Camus est dans la vraie vie… Quand tu viens d’où il vient – j’ai presque envie de dire d’où on vient… Ce n’est pas comme Sartre... Lui est juste en train de tout faire pour rester debout, amener de la nuance, de la complexité. Camus est beaucoup plus clair que Sartre. […] Il essaie de trouver des solutions médianes, sans idées arrêtées. De mon point de vue, la pensée de Camus est beaucoup plus actuelle que celle de Sartre. »
Camus dit aussi que la culture l’a arraché à sa condition…


« Chaque artiste garde ainsi au fond de lui une source unique qui aliment pendant sa vie ce qu’il est et ce qu’il dit ». Albert  Camus, préface de L’Envers et l’Endroit.

Abd al Malik a conçu son spectacle en trois tableaux : la pauvreté qu’elle soit externe ou interne, séquence basée sur du rap pur et dur, puis la rencontre avec autrui et leur altérité qu’il exécute avec ses musiciens, enfin la lumière symbolise par un duo de musique symphonique et de piano-voix. 

L’ensemble est bâti sur des textes qu’il a grappillés dans toute l’œuvre de Camus  et plus particulièrement dans les nouvelles de L’Envers et l’endroit, et des textes qu’il a écrits pour la circonstance. « Il y a aussi l’aspect pictural du spectacle, avec un travail vidéo important, de la danse hip hop pour amener cette notion présente chez Camus, entre autres dans Noces, de l’exaltation, pour magnifier le corps » ajoute-t-il. 

Camus est pour lui un mentor dont les œuvres ne le quittent guère :
« Albert Camus donc devenu un grand frère
Comme les grands de la cité
Que je voyais par la fenêtre
De ma tour le Neuhof, était devenu Belcourt.
»
Abd Al Malik, "Marseille 2013", page 48



Lui aussi connut la maladie, pas la tuberculose comme Camus, mais une méningite nécessitant une hospitalisation d'une année, méditant cette phrase de Camus tirée de L'Envers et l'endroit« il n'y a pas d'amour de vivre sans désespoir de vivre. »Sa forme de révolte, il la puise dans L'Homme révolté, faisant sienne cette approche :  « La logique du révolté est de vouloir servir la justice pour ne pas ajouter à l'injustice de la condition... de parier, face à la douleur des hommes, pour le bonheur. »

Dans le chapitre L'amour et l'unité, Abd Al Malik s'appuie d'abord sur La Peste pour montrer l'importance de la dimension collective de la vie, surtout pour les plus pauvres qui n'en restent pas moins optimistes :- Ceux-là sont les plus pauvres ? demande l'ingénieur D'Arrast dans La Pierre qui pousse.
- Ils sont les plus pauvres... Et vous savez, ils dansent et chantent tous les jours.


Pour  Abd Al Malik, « c'est actualiser la réalité d'un destin commun que de prendre une figure telle que Camus pour se construire. »

Références
[1] « L’envers et l’endroit a été une sorte de révélation. Avec cette préface que Camus a écrite 20 ans après la première édition du livre. Un texte où il fait le point sur lui, sur ses origines, sur ce que c’est que représenter les siens, être un écrivain, un artiste… Immédiatement, ces quelques pages sont devenues comme un viatique pour moi. »
[2] Dominique Bluzet, directeur du grand théâtre de Provence à Aix et Catherine Camus, la fille d’Albert Camus

Catherine Camus
Bibliographie d’Abd Al Malik
La guerre des banlieues n’aura pas lieu, Le Cherche Midi, 2010
Le dernier Français, Le Cherche Midi, 2012
L’Islam au secours de la République, Flammarion, 2013
Qu’Allah bénisse la France, Albin Michel, 2014
Place de la République, Indigène, 2015
* Lire un extrait --
Voir aussi mes fiches Camus 2015-16 : 
* L’État de siège, Camus-Rondelez -- En quête de "l'Étranger", Camus-Kaplan --
* Albert Camus-André Malraux, Correspondance --

* Camus-Abd-al-Malik : L'art et la révolte --
* À la recherche de l'unité -- L'éternité à Lourmarin, Camus-Char --
* La permanence camusienne --
< Christian Broussas, Camus-Abd al Malik - 11/12/2016 © cjb © • >

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