Camus avec Sartre
Introduction
"Albert Camus et les libertaires" - éditions Volonté anarchiste, 1985 Roger Dadoun : "Albert Camus le méditerranéen" - Simoun n°3 - juin 1952 |
La polémique avec Sartre dans "Les Temps modernes" éclaire en contrepoint une image libertaire d'un Camus contre le destin et le pouvoir en place : " L'âme de la révolte, c'est le nerf de la pensée libertaire. " Son attitude est une mise à distance, une capacité d'analyse -la lucidité camusienne- lui permettant autonomie et affirmation de soi.
"L'Homme révolté" et "Les temps modernes"
"L'Homme révolté" donne aussi lieu à des échanges entre Camus et l'anarchiste Gaston Leval au sujet de Bakounine et de son évolution du nihilisme vers l'anarchisme. Dans ses courriers, Camus reconnaît qu'il a suivi la même évolution et reprendra le passage incriminé de "L'Homme révolté" à la lumière des informations de Leval. [1]
Sa filiation libertaire s'exprime aussi bien dans sa pensée , ses écrits que dans son action. Il a longtemps collaboré à des revues telles que "Témoins" ou "La révolution prolétarienne". Cependant, les critiques n'ont guère retenu cet aspect de sa pensée. Même si Pierre-Henri Simon dans "Présence de Camus" [2] pense que chez Camus " la peste, ce soit l'état tout court ", il le qualifie aussi d'anarchiste sentimental. Les difficultés qu'il rencontre, ses problèmes de santé vont "vacciner sa révolte contre les tentatives de l'absolu. "
Le Figaro parlera même de Camus comme "' le prince des bien-pensants ", suscitant les réactions indignées du mouvement libertaire [3] et de son ami René Char. Camus affirmait qu'il n'y a pas de liberté pour tous si certains peuvent s'enrichir sur la misère des autres, la vraie liberté impliquant la justice. [4] "Les Temps modernes" s'acharnent sur "L'Homme révolté" et la position de Camus entre la statu quo bourgeois et le socialisme césarien. Acharnement, le mot n'est pas trop fort : un article de Jeanson de 22 pages, la réponse de Sartre de 20 pages et celle de Jeanson de 30 pages. La polémique suscitait autant de pages que l'œuvre elle-même.
« Toute forme de mépris, si elle intervient en politique, prépare ou instaure le fascisme. »
L'engagement de Camus
" Albert Camus libertaire : " " Une démonstration cohérente et rigoureuse de la pensée d'Albert Camus. " Roger Dadoun |
Cette interprétation, Pierre-Henri Simon la réfute totalement [6] et Camus tient à préciser que son optimisme en l'homme s'oppose aux chrétiens qui croient en un absolu métaphysique et aux marxistes qui croient en un absolu de l'Histoire. [7] Avec ses amis anarchistes de "Révolution prolétarienne", qu'il contribua à financer, Camus fonda "Les groupes de liaison internationale" pour aider les familles victimes de Staline et de Franco. [8] Il fut aussi correspondant de "Témoins" de ses amis Monate et Samson, y participa activement avec Rirette Maîtrejean, anarchiste et femme de Victor Serge. Avec les groupes anarchistes et en particulier son ami Maurice Joyeux qui dirigeait "Le Libertaire", il fit de nombreuses interventions contre la répression en Espagne et dans pays communistes. [9]
Sur le plan littéraire, Camus affirmera inlassablement que la seule réponse aux diverses formes de l'absurde, qu'elles soient de type nihiliste ou totalitaire, est la révolte de l'homme libre. Les thèmes de ses œuvres de fiction y contribuent largement : harmonie entre l'homme et le monde (Noces, L'Eté), réserve quant aux mécanismes institutionnels (L'Etranger), affirmation et limites de la révolte (Caligula, L'Etat de siège, Les Justes), liberté et solidarité (La Peste, Jonas). Sur le plan théorique, il définit "Le Malentendu" comme "une pièce de révolte " et intitule une série d'article dans "Combat" : Ni victimes ni bourreaux.
La justice et la liberté
Pour Camus, la liberté est liée à la vie dans "Noces", " que la vie soir libre pour chacun et juste pour tous, c'est le but que nous avons à poursuivre, [10] ce qui implique le recours à une liberté collective, la seule "vraie liberté" qu'il connaisse, c'est la liberté d'esprit et d'action " écrit-il dans "Le Mythe de Sisyphe". [11]
Il rejette aussi bien " la société de l'argent et de l'exploitation que les états policiers... qui ne font que leur métier " ajoute-t-il dans son discours "Le pain et la liberté", discours prononcé devant des ouvriers à Saint-Etienne en mai 1953. Le socialisme césarien a choisi : la justice contre la liberté (avant de sacrifier la justice), son grand crime est d'avoir mutilé la révolte des libertaires et chassé la morale de la révolution.
Il voit bien, dans la tradition proudhonienne, la contradiction existant entre révolte et gouvernement. Seul l'Etat césarien peut se permettre de définir ce qui est juste, ce qui est vrai, qui est innocent ou coupable. Contrairement à la révolte, le communisme est une doctrine de culpabilité quant à l'homme et d'innocence quant à l'histoire. La vitalité de la pensée libertaire es tournée pour Camus vers sa tradition autant que vers son avenir.
A propos du " Mythe de Sisyphe " C'est la confrontation entre l'homme et le monde 'déraisonnable' qui fonde la notion d'absurde. [12] La réponse à ce dilemme s'appelle la révolte, revendication de la dignité de l'homme et de sa liberté. La révolte dit 'non' à la condition métaphysique et historique de l'homme. Elle est avant tout un équilibre entre refus d'absurde et d'injustice et affirmation des valeurs communes aux hommes.
Voir l'article : Camus et Nietzsche
Voir aussi les fiches que j'ai développées sous Wikipedia :
- Jean Daniel, Avec Camus : Comment résister à l'air du temps
- Roger Grenier, Albert Camus, soleil et ombre
- Morvan Lebesque, Albert Camus par lui-même
- Daniel Rondeau, Camus ou les promesses de la vie
- Jean Sarocchi, Camus
Albert Camus et Michel Onfray, auteur de "Camus : L'ordre libertaire"
Notes et références
[1] édition de La Pléiade, tome II, p. 152 et p. 750-753 - Voir aussi "Défense de l'homme révolté", La Pléiade II p.1702-1716
[2] Voir Pierre-Henri Simon, "Présence de Camus", éditions La renaissance du livre, 1961 </ref>
[3] Voir "Témoins" n°30, 1962
[4] Voir La Pléiade II p. 1697-98
[5] Voir La Pléiade II p. 355
[6]Voir l'ouvrage de Vertone p. 32
[7] Camus a toujours affirmé son optimisme quant à l'homme et son pessimiste quant à sa condition.
[8] Voir "Témoins" n° 23 de mai 1960
[9] Voir ses articles dans Le Monde libertaire en février 1955, Témoins n°5 en 1954 puis été 1956, Franc-tireur de mars 1957
[10] Voir "Combat" de septembre 1944, Actuelles I ou La Pléiade pages 271-72
[11] Voir La Pléiade tome II page 140
[12] " Ce qui est absurde, c'est la confrontation d'un monde irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme. " [Le Mythe de Sisyphe p. 113]
<<< Christian Broussas - Feyzin - 20 mars 2012 - <<< © • cjb • © >>>>
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