La Mer et les Prisons 1ère partie
Roger Quilliot
Sommaire
1- Présentation 2- Esthétique et poétique chez Camus 3- Le théâtre de l'absurde
4- La plume et l'épée 5- La dramaturgie chez Camus 6- Le mythe du salut
7- Du bon usage de la peste 7bis- Lire la Suite
1- Présentation générale
« Je comprends ici, écrit Albert Camus, ce qu'on appelle gloire : le droit d'aimer sans mesure. »
L'objet de cet essai de Roger Quilliot
est d'analyser tout à la fois la création littéraire, la réflexion
de l'essayiste et l'action du journaliste. À partir de cet objectif,
il traite des thèmes favoris de Camus : la beauté et la mort, la
solitude et la fraternité, la splendeur du monde et la
souffrance des hommes.
Son attachement passionné à la justice comme à la liberté dans un temps de violence et de barbarie, vient sans doute de la dure expérience que fut sa jeunesse que, malgré la maladie, son amour de vivre [1]. Roger Quilliot établit une relation où l'œuvre éclaire l'homme et ses prises de position et inversement, un écrivain qui se voulait engagé et en prise avec son époque.
Son attachement passionné à la justice comme à la liberté dans un temps de violence et de barbarie, vient sans doute de la dure expérience que fut sa jeunesse que, malgré la maladie, son amour de vivre [1]. Roger Quilliot établit une relation où l'œuvre éclaire l'homme et ses prises de position et inversement, un écrivain qui se voulait engagé et en prise avec son époque.
2- Esthétique et poétique chez Camus
« Sur la vie elle-même, je n'en sais pas plus que ce qui est dit de façon informe dans L'Envers et l'Endroit. » Voilà qui explique pourquoi Camus nourrissait pour cet essai de jeunesse une affection particulière. L'Envers et l'Endroit, si le style en est parfois maladroit [2] est l'œuvre où Camus s'est le plus livré. Ses nombreuses activités cachent souvent un malaise, la maladie aidant, dont il dit « qu'il n'y a pas d'amour de vivre sans désespoir de vivre. » Cet essai peint l'univers du quartier pauvre de Belcourt dans toute sa dure réalité quotidienne, sans effets, sans étalage, sans pitié non plus, avec un œil extérieur, la compassion étant plutôt affaire de riches.
Pour lui, la religion n'est qu'un recours contre les angoisses dans un climat de pauvreté spirituelle. « On est chrétien par impuissance ou impatience » écrit-il, ce qui le détournera à jamais de la religion car pour lui « à cette heure, tout mon royaume est de ce monde. » On sent dans la distanciation des personnages la présence, l'influence de sa mère, muette et lointaine, « cette manière d'absence, d'épaisse transparence, qui fait toute l'étrangeté de Meursault, nous la trouvons déjà dans cette mère curieusement silencieuse. »
L'esthétique de Camus, c'est ce regard qu'il porte, projection sur la vie, comme il le dit lui-même « de deux ou trois images simples et grandes, sur lesquelles le cœur pour la première fois s'est ouvert. » [3] Elle prend sa source dans cette confidence tirée de cette préface qu'il a longuement mûrie : « Il y a plus de vrai amour dans ces pages maladroites que dans tout ce que j'ai écrit par la suite. »
Son regard sur le monde reste celui d'un enfant d'un quartier pauvre d'Alger qu'il traduit par ces mots : « Je tiens au monde par tous mes gestes, aux hommes par toute ma pitié et ma reconnaissance. » « Entre oui et non, ce pourrait être aussi le principe fondamental de son esthétique » écrit Quilliot. Elle traduit une vie de solidarité, une vie difficile où l'art est absent. Son esthétisme est donc loin des raffinements d'un Oscar Wilde ou d'un Barrès sur qui il a déjà écrit [4]. « Sa lucidité... ne reflète l'image du monde et des êtres que pour découvrir leur vérité profonde » précise Roger Quilliot. Il parle de situations à partir desquelles il met en perspective ses personnages, le vieux face à la mort, le jeune face à sa propre étrangeté, le pauvre face à son ennui, « autant de situations éternelles. »
L'envers et l'endroit
La personnalisation des éléments, la mer « qui suce les premiers rochers avec un bruit de baiser » mène à une symbolisation, la mer révèle l'infini, la montagne est la pureté. À Tipasa, « tout est munificence et profusion charnelle. » Comme Tipasa, l'Italie a aussi une grâce sensuelle et facile, des couleurs qui touchent Camus, « les lauriers roses et les soirs bleus de la côte ligurienne. » Il monte de cette Italie, à travers le pinceau sans concession de ses peintres, « de Cimabué à Francesca, une flamme noire », car ils ne sont pas dupes parmi toutes ces beautés de la pauvre condition humaine.
Djelima aussi, malgré son soleil et ses ruines comme à Tipasa, mais elles ne pourront rien contre le vent omniprésent qui ronge la pierre, « tout à Djemila a le goût des cendres et nous rejette dans la contemplation [6]. » C'est également le cas des crépuscules d'Alger, « la leçon de ces vies exaltées brûlées dès vingt ou trente ans, puis silencieusement minées par l'horreur et l'ennui. »
Le théâtre de l'absurde
3- Le théâtre de l'absurde
31- Caligula
Déjà dans L'Envers et l'Endroit, les vieillards et même les jeunes sont des personnages tragiques. Albert Camus et le théâtre, c'est une histoire d'amour. De sa jeunesse avec le Théâtre de l'Équipe [7] à Alger jusqu'à la fin avec le festival d'Angers et l'adaptation des Possédés, Albert Camus se sera donné au théâtre. Pour lui, tragédie signifiait symbole lui permettant d'exprimer ses pensées profondes et de leur conférer valeur universelle.
Elle donnait aussi du corps, de l'épaisseur aux mythes qu'il voulait incarner [8]. Les héros modernes tel Caligula ébranlent le sens commun parce qu'ils vont au bout de la logique, de leur raisonnement. La révolte absolue, c'est pour Caligula une façon de lutter contre la résignation qu'il voit autour de lui, « les hommes pleurent parce que les choses ne sont pas ce qu'elles devraient être. »
Caligula met le doigt 'là où ça fait mal', dénonce l'absurde par ses actions, ce trop-plein de vie qu'il brandit comme une arme. Il offre la liberté aux hommes mais les hommes n'en veulent pas, ils veulent continuer à obéir à leur empereur sans oser rêver d'une utopie, à vouloir décrocher la lune, sinon rien n'a d'importance. Chaque coup que porte Caligula révèle le caractère des hommes, son entourage qui voudrait le sauver de lui-même, Chéréa et son courage tranquille, Cæsonia et son amour désintéressé et Scipion si « pur dans le bien. » L'utilisation du chœur accentue la prise de conscience en médiatisant l'action, plaçant le spectateur sur scène, à l'intérieur du chœur, comme un élément du spectacle.
Par son suicide conscient, calculé, par le défi qu'il lance à ses semblables, Caligula les oblige à assumer leur destin et à dépasser leur condition. À son extravagance, à « son goût du difficile et du fatal, » Camus lui oppose deux figures apaisées, contrepoints à sa geste désordonnée, son délire brouillon, Chéréa qui veut simplement « vivre et être heureux, » qui a le goût du bonheur dans une recherche d'équilibre entre le corps et l'esprit, et Scipion qui veut vivre dans le présent, consent à la pauvreté, symbolise la mesure hellénique. Camus s'investit dans ces personnages, dans Cæsonia aussi, qui se sacrifie par amour, en ce sens plus forte que Caligula qui ne peut nier son amour, dans Scipion qui, par son sens de la mesure opposé à la démesure de Caligula, préfigure ce que sera L'Homme révolté et l'ombre portée de Némésis.
32- Le Malentendu
Cette pièce prend racine dans une scène de L'Étranger où Meursault, alors en prison, découvre entre la paillasse et la planche de son lit un bout de journal « jauni et transparent » qui relate un fait divers somme toute banal : L'assassinat par sa mère et sa sœur d'un homme qui revient chez lui incognito après une longue absence. Tel est le fil conducteur de la pièce. Meursault aura cette réflexion : « Je trouvais que le voyageur l'avait un peu mérité et qu'il ne faut jamais jouer. »
L'ambiance terne et tendue rappelle les souvenirs de son voyage à Prague, la Bohème froide et sans rivages était pour lui le symbole de l'exil. Les répétitions des occasions manquées confinent à l'absurde, une réaction, un mot même, aurait pu modifier le cours de cette histoire mais la mécanique s'est mise en marche dans toute sa logique. Pas de mélodrame ici, du genre 'l'auberge rouge', pas de facilité d'une trame narrative qui aurait pu ménager un certain 'suspens', donner plus d'ampleur à l'ensemble. Personnages sans vraie passion, ils sont le jouet du destin, des personnages œdipiens où tout s'enchaîne et plie devant l'inéluctable. Le silence, l'incompréhension qui avaient perdu Meursault, vont aussi les condamner. Les phrases courtes, le style discontinu rappellent L'Étranger et des relations impossibles. Ces froids assassins qui opèrent sans états d'âme, agissent comme des bureaucrates de camps de concentration sans qu'on connaisse leurs motivations.
Ils sont sans passé, héros transparents qui manquent d'épaisseur, où se sent le mal-être de ces deux femmes, la mère et la fille, qui ont le sentiment d'être passées à côté de leur vie, une vie absurde et sans horizon que Martha rêve au soleil. Pièce des occasions manquées, c'en est aussi une pour Camus, très déçu par son échec, qui en a banni tous les effets pour traiter de l'essentiel, donnant à ces femmes une lucidité trop lourde à porter, trop écrasées par leur condition pour que leurs dialogues soient vraiment crédibles.
Camus à 11 ans
4- La plume et l’épée
La plume a servi à Camus d'épée symbolique, continuant aussi les actions qu'il mena tout au long de sa vie. Il clame dans Lettres à un ami allemand son amour de la vie : « Vous acceptez légèrement de désespérer et je n'y ai jamais consenti » confessant « un goût violent de la justice qui me paraissait aussi peu raisonné que la plus soudaine des passions. » Il n'a pas attendu la résistance pour s'engager. Il vient du prolétariat et le revendiquera toujours, n'en déplaise à Sartre [9]; la première pièce qu'il joue au Théâtre du Travail, Révolte dans les Asturies, évoque déjà la lutte des classes. [10]
Il va enchaîner avec l'adhésion au Parti communiste et son célèbre reportage sur la misère en Kabylie paru dans Alger-Républicain. [11] Il y dénonce « la logique abjecte» du colonialisme. Les pressions qu'il subit l'obligent à quitter l'Algérie mais la guerre et la maladie vont le rattraper en France. Malgré cela, il se lancera dans la résistance. [12]
À écrire dans Combat, à lutter pour ses convictions, Camus éprouve une certaine lassitude. [13] Il veut pouvoir concilier justice et liberté, lutter contre toutes les formes de violence [14], défendre la paix et la coexistence pacifique, combattre à sa façon pour résister, contester, dénoncer. [15] De sa vie pendant la Résistance, on sait peu de choses car « le genre ancien combattant n’est pas le mien ». Ses préfaces aux livres de résistants sont surtout des hommages. [16] La guerre par contraste, est porteuse de valeurs d’un monde qui paraissait privé de sens. Son engagement dans le journal Combat est d’abord pour défendre la démocratie et une presse libre, « l’information, clef de la démocratie ». [17] Contre la violence discrète et l’injustice, « nous sommes déterminés… à déclarer que nous préféreront éternellement le désordre à l’injustice ».
Il rêve d’un monde « où le meurtre ne soit pas légitime » (Actuelles, Ni victimes ni bourreaux) et réaffirme son ancrage dans la gauche. [18] Il répond aux attaques des écrivains de droite comme François Mauriac et Gabriel Marcel [19] et engagera une lutte sans merci contre le franquiste, au point de quitter l’UNESCO quand l’Espagne y sera admise. Á son sens, le goût du bonheur va de pair avec la lutte contre la misère et l’injustice. Il proclame son humanisme dans ce crédo formulé dans une interview en 1948 : « Si les hommes ne sont pas innocents, ils ne sont coupables que d’ignorance. » [20] Il professe un ‘pessimisme actif’, croit en homme et en son rôle créateur, même s’il doute parfois du monde dans lequel il évolue à condition qu’il se forge une morale pour se poser des limites [21].
Il refuse aussi bien la résignation que le rôle dominant de l’histoire [22] dans une recherche de conciliation entre justice et liberté. Là où Sartre ne voit qu’une sorte « de suffisance sombre », il y a beaucoup de doutes et d’inquiétude, reconnaissant qu’il n’a pas « la supériorité de ceux qui ne se trompent jamais ».
Camus a toujours été un homme engagé, « le monde étant ce qu’il est, nous y sommes engagés, quoi que nous en ayons » écrit-il dans Ni victimes ni bourreaux, bien qu’il ait pu parfois paraître isolé par sa clairvoyance, sa vision du cours de l’histoire, même s’il refuse de choisir entre la liberté et la justice. Il tend à rétablir l’équilibre entre la nécessaire révolte contre l’absurdité de sa condition et les nécessaires limites de cette révolte, « jusqu’à nouvel ordre résistant inconditionnel, et à toutes les folies qu’on nous propose. » (Défense de l’homme, juillet 1949)
5- La dramaturgie chez Camus
Le roman permet à Camus d'aborder autrement le tragique pour transformer un modeste employé de bureau en héros, en personnage tragique né du quotidien, contrairement au tragique de Caligula né du pouvoir absolu. Meursault, cet homme sans prénom, n'a aucun pouvoir, et n'en veut pas. Quand son patron lui propose une meilleure situation, il renâcle, à quoi bon quitter ce qu'il a pour un peu plus de confort, que désirer d'autre finalement que sa petite vie étriquée mais bien à lui. Il n'a aucun rêve d'amélioration, de grandeur, le tragique naît aussi de la réalité banale du quotidien qui bascule sans raison apparente dans le drame, car écrit Camus dans L'Homme révolté, « le roman fabrique du destin sur mesure. »
Faire témoigner les êtres, en faire des symboles et restituer à travers Meursault une expérience unique, tel est la dramaturgie de Camus. Déjà dans L'Envers et l'Endroit, pendant l'été à Alger les jeunes gens vivaient dans le présent, pour eux aussi « tout le royaume était de ce monde. » Derrière Meursault, se dessine la silhouette de la mère de Camus, femme passive, « d'une présence trop naturelle pour être sentie ». Cette manière d'absence ressemble à Meursault, dans son comportement quotidien fait de mots simples, de désirs simples. Son amie Marie Cardona lui ressemble, fille simple et romantique qui se contente de peu, du peu qu'il lui donne; elle n'attendrait rien de bon d'une passion dévorante ou d'un amour exclusif. Son environnement est à son image, un quartier pauvre, un appartement étriqué et banal, qu'il ne pense même pas à personnaliser, où se trouve « toute l'absurde simplicité du monde. » C'est la vie dans un quartier pauvre telle que Camus l'a vécue dans sa jeunesse, où le désir passe par le corps, où toute forme de culture est absente [23].
Camus s'est-il souvenu de L'Étranger, ce poème de Baudelaire qui finit ainsi : « Et qu'aimes-tu donc extraordinaire étranger ?
J'aime les nuages -les nuages qui passent là-bas - les merveilleux nuages.»
Pour Meursault, c'est le soleil dominant, omniprésent, et des petits événements qui vont rythmer une vie monotone. Sartre ne dit pas autre chose dans La Nausée : « Quand on vit, il n'arrive rien, les décors changent, les gens entrent et sortent, voilà tout. » Il est comme Vincent, le copain algérois dont parle Camus dans Noces, qui vit ses désirs simplement, au quotidien [24].
En fait, Meursault ne joue pas le jeu, il n'a ni initiative, ni ambition, se laisse porter par les hasards qui émaillent son existence, et ne jouera pas non plus le jeu devant ses juges. Il ne respecte pas les artifices sociaux du procès, reste sec et étranger au spectacle, sans remords apparent, sans contrition pour la victime; il ne se bat pas la coulpe pour se réconcilier avec la société et demander son indulgence. Sartre y a vu un côté 'conte voltairien' dénonçant l'arbitraire et la logique judiciaire, auxquels il faut ajouter cette ignominie, la peine de mort, cet homicide accompli de sang froid au nom de la société, que Camus a toujours dénoncé et combattu [25]. Il participe aussi à cette mécanique sociale qui broie les plus faibles, ceux qui ne savent pas se défendre, "biaiser avec le système" [26]. C'est cet homme sans passé et sans avenir que le destin va rattraper.
Meursault va bien tenter de se révolter contre sa condition en déversant son désespoir sur l'aumônier mais à quoi bon. Lui aussi comme Caligula, meurt de ne pas avoir voulu jouer le jeu des hommes [27]. Quelque part, ils sont frères et ne peuvent se rejoindre que dans la mort, en exemples [28] Mais c'est aussi le chemin frayé à la lucidité, à la conscience. Camus lui-même écrit ce commentaire : « Il s'agit d'une vérité encore négative, la vérité d'être et de sentir, mais sans laquelle nulle conquête sur soi et sur le monde ne sera jamais possible [29]. »
Représentation de Sisyphe
6- Le mythe du salut
« Un roman, écrivait Camus en 1938 [30] n'est jamais qu'une philosophie mise en images. » Le Mythe de Sisyphe serait ainsi la théorisation de L'Étranger et de sa conception de l'absurde [31]. Camus part de son expérience : le mal-être d'un voyageur perdu dans une ville étrangère, qui se sent en exil, comme lui-même lors de son voyage à Prague [32]. Une réaction aussi, une terrible lassitude face à la banalité de la tâche toujours recommencée, l'homme placé devant un problème existentiel et qui doit trouver malgré tout des raisons d'espérer car « il n'y a qu'un problème sérieux, c'est le suicide » déclare-t-il.
L'homme se définit d'abord par ses actes, ce qui concrétise sa volonté, non par ses intentions. Que peut-on savoir de ses intentions, comment sonder le cœur de Meursault, interpréter ses silences -surtout lors du procès- et ne pas se méprendre sur ce qu'il ressent au fond de lui ?
L'éveil de la conscience découvre le caractère absurde d'une existence vouée à la mort [33]. Si le progrès scientifique a connu un essor considérable, la condition de l'homme est restée de même nature, allant du servage au prolétariat; elle n'a guère évolué. L'absurde naît de l'absence de sens, « de la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme. » Mais l'absurde n'est pas seulement un sentiment négatif, c'est un pas nécessaire, une conscience claire qui doit lui permettre de se dépasser pour sublimer sa condition.
« Il n'y a pas d'amour de vivre sans désespoir de vivre. » Ce paradoxe établit le lien entre L'Envers et l'Endroit et Le Mythe de Sisyphe, entre sentiment et rationnel, l'esprit balance dans ce va-et-vient où « l'absurde est la raison lucide qui découvre ses limites [34]. » Si a priori rien n'est interdit à l'homme dans un univers désormais privé de Dieu, il doit alors se forger une morale, rechercher le possible dans un effort constant et une volonté sans égale. Mais si la vraie connaissance lui est refusée, l'espoir même est une chimère, il reste à l'homme de vivre, de relever lucidement ses contradictions, « un style de vie où le refus équilibre l'acquiescement », vaincre sa peur et lutter contre les humiliations que les structures socio-économiques font subir à ceux qui souffrent le plus. Même dans un monde privé de sens, là se trouve la grandeur de l'homme [35]
Image de la peste
7- Du bon usage de la Peste
71- Guerre et Peste
Pour Camus, La Peste est une chronique [36], l'évolution au jour le jour de l'extension de la maladie dans Oran, une ville qu'il connaît bien pour y avoir vécu [37] Il n'y a plus comme dans L'Étranger une succession de moments dénués de sens mais un continuum, une histoire qui devient un destin [38]. Ce destin va fondre sur Oran et ses habitants sous la forme d'un fléau légendaire de l'humanité : la peste. Cette maladie très contagieuse sépare les hommes, les rend méfiants, mais par la lutte collective qu'elle suscite, les rapproche aussi, ce que décrit Camus avec minutie [39].
Entre le marché noir et la fumée noire des fours crématoires, un livre écrit-il, qui a « comme contenu évident la lutte de la résistance européenne contre le nazisme » [40]. La peste est aussi le mythe du Mal. Camus interroge : « Qu'est-ce que cela veut dire, la peste ? » et il répond « c'est la vie, voilà tout. » C'est une lutte continuelle contre le Mal car selon le docteur Rieux « le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais. » et la révolte va naître du désespoir des hommes et de leur soif de vivre.
Les personnages se précisent peu à peu au long du récit, ce sont des résistants, ceux qui engagent une lutte à mort contre le fléau, quelles que soient leurs motivations. Selon Roger Quilliot, ils seraient plutôt « un éclatement du personnage de l'Étranger » à travers la lucidité du docteur Rieux, la modestie de Grand, la recherche de pureté de Tarrou, la sensualité de Rambert [41]. Même le père Paneloux finira par rejoindre les 'résistants' [42] et apporter aide et compassion à son prochain [43]. Tarrou, c'est ce jeune homme de L'Étranger qui compatit pour Meursault et rejette comme une monstruosité sa condamnation à mort. Il déteste se faire remarquer et parler pour ne rien dire; c'est 'un pur'. Il connaît le terrible défi « de faire le moins de mal possible et même parfois un peu de bien. »
Le docteur Rieux semble un roc, étranger au découragement, un costaud capable de porter la lutte à bout de bras et se confond avec elle. Pourtant, il reste dans l'ombre. Meursault parlait à la première personne, étranger à lui-même, Rieux pour engagé qu'il soit, s'exprime à la troisième personne, effacé, en retrait dans le récit [44]. Camus lui-même confirme ce décalage calculé : « La Peste est une confession, et tout y est calculé pour que cette confession soit d'autant plus entière que la forme y est plus indirecte ». Ce sont des hommes de bonne volonté qui pensent « qu'il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer [45], » qui luttent aussi contre les complices du fléau, ces corps constitués qui subissent, sans véritablement engagé le combat.
Finalement, le docteur Rieux pense qu'il est juste « que de temps en temps au moins la joie vînt récompenser ceux qui se suffisent de l'homme et de son pauvre et terrible amour. »
Cette pièce créée avec Jean-Louis Barrault, a eu un accueil mitigé. On attendait plutôt une adaptation de La Peste mais Camus avait en tête un autre projet : créer un 'spectacle' au sens médiéval du terme, dans la veine des 'autos sacramentales' espagnoles. Dans une interview, Jean-Louis Barrault donne le ton : « Il s'agit... d'un spectacle dont l'ambition est de mêler toutes les formes d'expression dramatique depuis le monologue lyrique jusqu'au théâtre collectif, en passant par le jeu muet, le simple dialogue, la farce et le chœur. »
Apocalypse à Cadix : chacun vit dans la ferveur de l'été, à l'ombre des hauts murs de la cité, insouciant au mal mystérieux qui menace. Le mime et les effets sonores symbolisent la peur qui s'insinue peu à peu. Le merveilleux s'estompe derrière le « squelette allégorique » de La Peste. Le tragique de cette Peste qui s'abat sur la ville et broie les hommes, devrait s'appuyer sur la cruauté implacable du dictateur mais Camus n'est pas un homme de haine et finalement, on en reste aux symboles. Pour lutter, il faut d'abord vaincre la peur et seulement ensuite contre-attaquer. Cadix n'est pas Oran, Rieux, Tarrou et les autres se sont dispersés, seul Diégo va se sacrifier. L'État de siège conclut Quilliot, « est donc un appel à la résistance sous toutes ses formes » : contre l'égoïsme, la violence et tyrannie franquiste [46].
En contrepoint, Camus a placé, à travers les personnages de Diégo et de Victoria, le symbole de l'amour qui s'oppose à la violence de La Peste, un peu comme dans Le Malentendu, le contraste du couple Jan et Maria pris entre « la nécessité, la force et l'espoir. »
73- Les Justes
Dans cette pièce, Diégo devient terroriste dans la Sainte Russie livrée à la peste tsariste. En janvier 1948, un article de La Table ronde évoque ces terroristes russes que Camus reprendra dans un chapitre de L'Homme révolté [47]. Le 2 février 1905, Kaliayev refusa de lancer sa bombe sur le grand-duc Serge pour épargner la vie de ses neveux qui se trouvaient dans le carrosse et monta à l'échafaud sans avoir rien tenté pour sauver sa vie. La question centrale est aussi celle des Mains sales : un révolutionnaire peut-il recourir au meurtre [48] ? Pourtant, rien ne prédisposait ces jeunes gens issus de milieux aisés au recours à la violence. Yanek Kaliayev est « un peu fou, trop spontané, » Dora une jolie fille simple qui regrette le temps de l'innocence. Stepan est le seul qui soit habité par le meurtre et qui s'oppose à Kaliayev [49].
Deux conceptions du révolutionnaire s'affrontent ici. Stepan veut traiter le mal par un remède drastique, le meurtre, sans faiblir [50]. Kaliayev refuse de choisir entre la violence et la vie, un de ceux que Camus appelle dans L'Homme révolté, « les meurtriers délicats. » [51] Mettre ses scrupules, la mort entre parenthèses, au nom de l'efficacité ne suffit pas à redonner une certitude [52]. Seul le sacrifice de leur vie, ce don suprême, peut réussir à équilibrer le meurtre.
La dimension humaine revient par la souffrance de la Grande-duchesse, ce recours en grâce qu'agite le policier Skouratov sous le nez de Kaliayev.
Elle domine aussi la scène d'amour entre Yanek et Dora qui, oubliant dans un mouvement d'abandon leur rêve de pureté et l'action révolutionnaire, se retrouvent, dans un sursaut de bonheur et de tendresse. Mais chacun d'eux « porte sa vie à bout de bras » dans un profond déchirement et « cet absurde... les porte au martyre avec une joie amère. » Les Justes, c'est l'histoire d'un groupe de jeunes gens épris de pureté, que révolte le cynisme de leur époque et qui pourraient provoquer la prise de conscience nécessaire pour « réintégrer la morale dans l'histoire. »
21- L'esthétique
L'envers et l'endroit« Sur la vie elle-même, je n'en sais pas plus que ce qui est dit de façon informe dans L'Envers et l'Endroit. » Voilà qui explique pourquoi Camus nourrissait pour cet essai de jeunesse une affection particulière. L'Envers et l'Endroit, si le style en est parfois maladroit [2] est l'œuvre où Camus s'est le plus livré. Ses nombreuses activités cachent souvent un malaise, la maladie aidant, dont il dit « qu'il n'y a pas d'amour de vivre sans désespoir de vivre. » Cet essai peint l'univers du quartier pauvre de Belcourt dans toute sa dure réalité quotidienne, sans effets, sans étalage, sans pitié non plus, avec un œil extérieur, la compassion étant plutôt affaire de riches.
Pour lui, la religion n'est qu'un recours contre les angoisses dans un climat de pauvreté spirituelle. « On est chrétien par impuissance ou impatience » écrit-il, ce qui le détournera à jamais de la religion car pour lui « à cette heure, tout mon royaume est de ce monde. » On sent dans la distanciation des personnages la présence, l'influence de sa mère, muette et lointaine, « cette manière d'absence, d'épaisse transparence, qui fait toute l'étrangeté de Meursault, nous la trouvons déjà dans cette mère curieusement silencieuse. »
L'esthétique de Camus, c'est ce regard qu'il porte, projection sur la vie, comme il le dit lui-même « de deux ou trois images simples et grandes, sur lesquelles le cœur pour la première fois s'est ouvert. » [3] Elle prend sa source dans cette confidence tirée de cette préface qu'il a longuement mûrie : « Il y a plus de vrai amour dans ces pages maladroites que dans tout ce que j'ai écrit par la suite. »
Son regard sur le monde reste celui d'un enfant d'un quartier pauvre d'Alger qu'il traduit par ces mots : « Je tiens au monde par tous mes gestes, aux hommes par toute ma pitié et ma reconnaissance. » « Entre oui et non, ce pourrait être aussi le principe fondamental de son esthétique » écrit Quilliot. Elle traduit une vie de solidarité, une vie difficile où l'art est absent. Son esthétisme est donc loin des raffinements d'un Oscar Wilde ou d'un Barrès sur qui il a déjà écrit [4]. « Sa lucidité... ne reflète l'image du monde et des êtres que pour découvrir leur vérité profonde » précise Roger Quilliot. Il parle de situations à partir desquelles il met en perspective ses personnages, le vieux face à la mort, le jeune face à sa propre étrangeté, le pauvre face à son ennui, « autant de situations éternelles. »
L'envers et l'endroit
22- La poétique
Noces représente le prototype de la poétique dans son œuvre mais c'est aussi le cas de ses autres recueils de nouvelles, L'Été, L'Exil et le royaume, des textes qui exaltent « l'emportement d'aimer. » La poésie de Noces, très marquante dans Noces à Tipasa, est toute spontanée, comme un défi dans cet appel à la nature et l'exhalaison de la sensualité. Son univers sensuel exalte le contraste des couleurs [5], la puissance de le présence intime des éléments.« Le son feutré de la flûte à trois trous... des rumeurs venues du ciel... », le vent à Djemila.La personnalisation des éléments, la mer « qui suce les premiers rochers avec un bruit de baiser » mène à une symbolisation, la mer révèle l'infini, la montagne est la pureté. À Tipasa, « tout est munificence et profusion charnelle. » Comme Tipasa, l'Italie a aussi une grâce sensuelle et facile, des couleurs qui touchent Camus, « les lauriers roses et les soirs bleus de la côte ligurienne. » Il monte de cette Italie, à travers le pinceau sans concession de ses peintres, « de Cimabué à Francesca, une flamme noire », car ils ne sont pas dupes parmi toutes ces beautés de la pauvre condition humaine.
Djelima aussi, malgré son soleil et ses ruines comme à Tipasa, mais elles ne pourront rien contre le vent omniprésent qui ronge la pierre, « tout à Djemila a le goût des cendres et nous rejette dans la contemplation [6]. » C'est également le cas des crépuscules d'Alger, « la leçon de ces vies exaltées brûlées dès vingt ou trente ans, puis silencieusement minées par l'horreur et l'ennui. »
Le théâtre de l'absurde
3- Le théâtre de l'absurde
31- Caligula
Déjà dans L'Envers et l'Endroit, les vieillards et même les jeunes sont des personnages tragiques. Albert Camus et le théâtre, c'est une histoire d'amour. De sa jeunesse avec le Théâtre de l'Équipe [7] à Alger jusqu'à la fin avec le festival d'Angers et l'adaptation des Possédés, Albert Camus se sera donné au théâtre. Pour lui, tragédie signifiait symbole lui permettant d'exprimer ses pensées profondes et de leur conférer valeur universelle.
Elle donnait aussi du corps, de l'épaisseur aux mythes qu'il voulait incarner [8]. Les héros modernes tel Caligula ébranlent le sens commun parce qu'ils vont au bout de la logique, de leur raisonnement. La révolte absolue, c'est pour Caligula une façon de lutter contre la résignation qu'il voit autour de lui, « les hommes pleurent parce que les choses ne sont pas ce qu'elles devraient être. »
Caligula met le doigt 'là où ça fait mal', dénonce l'absurde par ses actions, ce trop-plein de vie qu'il brandit comme une arme. Il offre la liberté aux hommes mais les hommes n'en veulent pas, ils veulent continuer à obéir à leur empereur sans oser rêver d'une utopie, à vouloir décrocher la lune, sinon rien n'a d'importance. Chaque coup que porte Caligula révèle le caractère des hommes, son entourage qui voudrait le sauver de lui-même, Chéréa et son courage tranquille, Cæsonia et son amour désintéressé et Scipion si « pur dans le bien. » L'utilisation du chœur accentue la prise de conscience en médiatisant l'action, plaçant le spectateur sur scène, à l'intérieur du chœur, comme un élément du spectacle.
Par son suicide conscient, calculé, par le défi qu'il lance à ses semblables, Caligula les oblige à assumer leur destin et à dépasser leur condition. À son extravagance, à « son goût du difficile et du fatal, » Camus lui oppose deux figures apaisées, contrepoints à sa geste désordonnée, son délire brouillon, Chéréa qui veut simplement « vivre et être heureux, » qui a le goût du bonheur dans une recherche d'équilibre entre le corps et l'esprit, et Scipion qui veut vivre dans le présent, consent à la pauvreté, symbolise la mesure hellénique. Camus s'investit dans ces personnages, dans Cæsonia aussi, qui se sacrifie par amour, en ce sens plus forte que Caligula qui ne peut nier son amour, dans Scipion qui, par son sens de la mesure opposé à la démesure de Caligula, préfigure ce que sera L'Homme révolté et l'ombre portée de Némésis.
32- Le Malentendu
Cette pièce prend racine dans une scène de L'Étranger où Meursault, alors en prison, découvre entre la paillasse et la planche de son lit un bout de journal « jauni et transparent » qui relate un fait divers somme toute banal : L'assassinat par sa mère et sa sœur d'un homme qui revient chez lui incognito après une longue absence. Tel est le fil conducteur de la pièce. Meursault aura cette réflexion : « Je trouvais que le voyageur l'avait un peu mérité et qu'il ne faut jamais jouer. »
L'ambiance terne et tendue rappelle les souvenirs de son voyage à Prague, la Bohème froide et sans rivages était pour lui le symbole de l'exil. Les répétitions des occasions manquées confinent à l'absurde, une réaction, un mot même, aurait pu modifier le cours de cette histoire mais la mécanique s'est mise en marche dans toute sa logique. Pas de mélodrame ici, du genre 'l'auberge rouge', pas de facilité d'une trame narrative qui aurait pu ménager un certain 'suspens', donner plus d'ampleur à l'ensemble. Personnages sans vraie passion, ils sont le jouet du destin, des personnages œdipiens où tout s'enchaîne et plie devant l'inéluctable. Le silence, l'incompréhension qui avaient perdu Meursault, vont aussi les condamner. Les phrases courtes, le style discontinu rappellent L'Étranger et des relations impossibles. Ces froids assassins qui opèrent sans états d'âme, agissent comme des bureaucrates de camps de concentration sans qu'on connaisse leurs motivations.
Ils sont sans passé, héros transparents qui manquent d'épaisseur, où se sent le mal-être de ces deux femmes, la mère et la fille, qui ont le sentiment d'être passées à côté de leur vie, une vie absurde et sans horizon que Martha rêve au soleil. Pièce des occasions manquées, c'en est aussi une pour Camus, très déçu par son échec, qui en a banni tous les effets pour traiter de l'essentiel, donnant à ces femmes une lucidité trop lourde à porter, trop écrasées par leur condition pour que leurs dialogues soient vraiment crédibles.
Camus à 11 ans
4- La plume et l’épée
La plume a servi à Camus d'épée symbolique, continuant aussi les actions qu'il mena tout au long de sa vie. Il clame dans Lettres à un ami allemand son amour de la vie : « Vous acceptez légèrement de désespérer et je n'y ai jamais consenti » confessant « un goût violent de la justice qui me paraissait aussi peu raisonné que la plus soudaine des passions. » Il n'a pas attendu la résistance pour s'engager. Il vient du prolétariat et le revendiquera toujours, n'en déplaise à Sartre [9]; la première pièce qu'il joue au Théâtre du Travail, Révolte dans les Asturies, évoque déjà la lutte des classes. [10]
Il va enchaîner avec l'adhésion au Parti communiste et son célèbre reportage sur la misère en Kabylie paru dans Alger-Républicain. [11] Il y dénonce « la logique abjecte» du colonialisme. Les pressions qu'il subit l'obligent à quitter l'Algérie mais la guerre et la maladie vont le rattraper en France. Malgré cela, il se lancera dans la résistance. [12]
À écrire dans Combat, à lutter pour ses convictions, Camus éprouve une certaine lassitude. [13] Il veut pouvoir concilier justice et liberté, lutter contre toutes les formes de violence [14], défendre la paix et la coexistence pacifique, combattre à sa façon pour résister, contester, dénoncer. [15] De sa vie pendant la Résistance, on sait peu de choses car « le genre ancien combattant n’est pas le mien ». Ses préfaces aux livres de résistants sont surtout des hommages. [16] La guerre par contraste, est porteuse de valeurs d’un monde qui paraissait privé de sens. Son engagement dans le journal Combat est d’abord pour défendre la démocratie et une presse libre, « l’information, clef de la démocratie ». [17] Contre la violence discrète et l’injustice, « nous sommes déterminés… à déclarer que nous préféreront éternellement le désordre à l’injustice ».
Il rêve d’un monde « où le meurtre ne soit pas légitime » (Actuelles, Ni victimes ni bourreaux) et réaffirme son ancrage dans la gauche. [18] Il répond aux attaques des écrivains de droite comme François Mauriac et Gabriel Marcel [19] et engagera une lutte sans merci contre le franquiste, au point de quitter l’UNESCO quand l’Espagne y sera admise. Á son sens, le goût du bonheur va de pair avec la lutte contre la misère et l’injustice. Il proclame son humanisme dans ce crédo formulé dans une interview en 1948 : « Si les hommes ne sont pas innocents, ils ne sont coupables que d’ignorance. » [20] Il professe un ‘pessimisme actif’, croit en homme et en son rôle créateur, même s’il doute parfois du monde dans lequel il évolue à condition qu’il se forge une morale pour se poser des limites [21].
Il refuse aussi bien la résignation que le rôle dominant de l’histoire [22] dans une recherche de conciliation entre justice et liberté. Là où Sartre ne voit qu’une sorte « de suffisance sombre », il y a beaucoup de doutes et d’inquiétude, reconnaissant qu’il n’a pas « la supériorité de ceux qui ne se trompent jamais ».
Camus a toujours été un homme engagé, « le monde étant ce qu’il est, nous y sommes engagés, quoi que nous en ayons » écrit-il dans Ni victimes ni bourreaux, bien qu’il ait pu parfois paraître isolé par sa clairvoyance, sa vision du cours de l’histoire, même s’il refuse de choisir entre la liberté et la justice. Il tend à rétablir l’équilibre entre la nécessaire révolte contre l’absurdité de sa condition et les nécessaires limites de cette révolte, « jusqu’à nouvel ordre résistant inconditionnel, et à toutes les folies qu’on nous propose. » (Défense de l’homme, juillet 1949)
5- La dramaturgie chez Camus
Le roman permet à Camus d'aborder autrement le tragique pour transformer un modeste employé de bureau en héros, en personnage tragique né du quotidien, contrairement au tragique de Caligula né du pouvoir absolu. Meursault, cet homme sans prénom, n'a aucun pouvoir, et n'en veut pas. Quand son patron lui propose une meilleure situation, il renâcle, à quoi bon quitter ce qu'il a pour un peu plus de confort, que désirer d'autre finalement que sa petite vie étriquée mais bien à lui. Il n'a aucun rêve d'amélioration, de grandeur, le tragique naît aussi de la réalité banale du quotidien qui bascule sans raison apparente dans le drame, car écrit Camus dans L'Homme révolté, « le roman fabrique du destin sur mesure. »
Faire témoigner les êtres, en faire des symboles et restituer à travers Meursault une expérience unique, tel est la dramaturgie de Camus. Déjà dans L'Envers et l'Endroit, pendant l'été à Alger les jeunes gens vivaient dans le présent, pour eux aussi « tout le royaume était de ce monde. » Derrière Meursault, se dessine la silhouette de la mère de Camus, femme passive, « d'une présence trop naturelle pour être sentie ». Cette manière d'absence ressemble à Meursault, dans son comportement quotidien fait de mots simples, de désirs simples. Son amie Marie Cardona lui ressemble, fille simple et romantique qui se contente de peu, du peu qu'il lui donne; elle n'attendrait rien de bon d'une passion dévorante ou d'un amour exclusif. Son environnement est à son image, un quartier pauvre, un appartement étriqué et banal, qu'il ne pense même pas à personnaliser, où se trouve « toute l'absurde simplicité du monde. » C'est la vie dans un quartier pauvre telle que Camus l'a vécue dans sa jeunesse, où le désir passe par le corps, où toute forme de culture est absente [23].
Camus s'est-il souvenu de L'Étranger, ce poème de Baudelaire qui finit ainsi : « Et qu'aimes-tu donc extraordinaire étranger ?
J'aime les nuages -les nuages qui passent là-bas - les merveilleux nuages.»
Pour Meursault, c'est le soleil dominant, omniprésent, et des petits événements qui vont rythmer une vie monotone. Sartre ne dit pas autre chose dans La Nausée : « Quand on vit, il n'arrive rien, les décors changent, les gens entrent et sortent, voilà tout. » Il est comme Vincent, le copain algérois dont parle Camus dans Noces, qui vit ses désirs simplement, au quotidien [24].
En fait, Meursault ne joue pas le jeu, il n'a ni initiative, ni ambition, se laisse porter par les hasards qui émaillent son existence, et ne jouera pas non plus le jeu devant ses juges. Il ne respecte pas les artifices sociaux du procès, reste sec et étranger au spectacle, sans remords apparent, sans contrition pour la victime; il ne se bat pas la coulpe pour se réconcilier avec la société et demander son indulgence. Sartre y a vu un côté 'conte voltairien' dénonçant l'arbitraire et la logique judiciaire, auxquels il faut ajouter cette ignominie, la peine de mort, cet homicide accompli de sang froid au nom de la société, que Camus a toujours dénoncé et combattu [25]. Il participe aussi à cette mécanique sociale qui broie les plus faibles, ceux qui ne savent pas se défendre, "biaiser avec le système" [26]. C'est cet homme sans passé et sans avenir que le destin va rattraper.
Meursault va bien tenter de se révolter contre sa condition en déversant son désespoir sur l'aumônier mais à quoi bon. Lui aussi comme Caligula, meurt de ne pas avoir voulu jouer le jeu des hommes [27]. Quelque part, ils sont frères et ne peuvent se rejoindre que dans la mort, en exemples [28] Mais c'est aussi le chemin frayé à la lucidité, à la conscience. Camus lui-même écrit ce commentaire : « Il s'agit d'une vérité encore négative, la vérité d'être et de sentir, mais sans laquelle nulle conquête sur soi et sur le monde ne sera jamais possible [29]. »
Représentation de Sisyphe
6- Le mythe du salut
« Un roman, écrivait Camus en 1938 [30] n'est jamais qu'une philosophie mise en images. » Le Mythe de Sisyphe serait ainsi la théorisation de L'Étranger et de sa conception de l'absurde [31]. Camus part de son expérience : le mal-être d'un voyageur perdu dans une ville étrangère, qui se sent en exil, comme lui-même lors de son voyage à Prague [32]. Une réaction aussi, une terrible lassitude face à la banalité de la tâche toujours recommencée, l'homme placé devant un problème existentiel et qui doit trouver malgré tout des raisons d'espérer car « il n'y a qu'un problème sérieux, c'est le suicide » déclare-t-il.
L'homme se définit d'abord par ses actes, ce qui concrétise sa volonté, non par ses intentions. Que peut-on savoir de ses intentions, comment sonder le cœur de Meursault, interpréter ses silences -surtout lors du procès- et ne pas se méprendre sur ce qu'il ressent au fond de lui ?
L'éveil de la conscience découvre le caractère absurde d'une existence vouée à la mort [33]. Si le progrès scientifique a connu un essor considérable, la condition de l'homme est restée de même nature, allant du servage au prolétariat; elle n'a guère évolué. L'absurde naît de l'absence de sens, « de la confrontation de cet irrationnel et de ce désir éperdu de clarté dont l'appel résonne au plus profond de l'homme. » Mais l'absurde n'est pas seulement un sentiment négatif, c'est un pas nécessaire, une conscience claire qui doit lui permettre de se dépasser pour sublimer sa condition.
« Il n'y a pas d'amour de vivre sans désespoir de vivre. » Ce paradoxe établit le lien entre L'Envers et l'Endroit et Le Mythe de Sisyphe, entre sentiment et rationnel, l'esprit balance dans ce va-et-vient où « l'absurde est la raison lucide qui découvre ses limites [34]. » Si a priori rien n'est interdit à l'homme dans un univers désormais privé de Dieu, il doit alors se forger une morale, rechercher le possible dans un effort constant et une volonté sans égale. Mais si la vraie connaissance lui est refusée, l'espoir même est une chimère, il reste à l'homme de vivre, de relever lucidement ses contradictions, « un style de vie où le refus équilibre l'acquiescement », vaincre sa peur et lutter contre les humiliations que les structures socio-économiques font subir à ceux qui souffrent le plus. Même dans un monde privé de sens, là se trouve la grandeur de l'homme [35]
Image de la peste
7- Du bon usage de la Peste
71- Guerre et Peste
Pour Camus, La Peste est une chronique [36], l'évolution au jour le jour de l'extension de la maladie dans Oran, une ville qu'il connaît bien pour y avoir vécu [37] Il n'y a plus comme dans L'Étranger une succession de moments dénués de sens mais un continuum, une histoire qui devient un destin [38]. Ce destin va fondre sur Oran et ses habitants sous la forme d'un fléau légendaire de l'humanité : la peste. Cette maladie très contagieuse sépare les hommes, les rend méfiants, mais par la lutte collective qu'elle suscite, les rapproche aussi, ce que décrit Camus avec minutie [39].
Entre le marché noir et la fumée noire des fours crématoires, un livre écrit-il, qui a « comme contenu évident la lutte de la résistance européenne contre le nazisme » [40]. La peste est aussi le mythe du Mal. Camus interroge : « Qu'est-ce que cela veut dire, la peste ? » et il répond « c'est la vie, voilà tout. » C'est une lutte continuelle contre le Mal car selon le docteur Rieux « le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais. » et la révolte va naître du désespoir des hommes et de leur soif de vivre.
Les personnages se précisent peu à peu au long du récit, ce sont des résistants, ceux qui engagent une lutte à mort contre le fléau, quelles que soient leurs motivations. Selon Roger Quilliot, ils seraient plutôt « un éclatement du personnage de l'Étranger » à travers la lucidité du docteur Rieux, la modestie de Grand, la recherche de pureté de Tarrou, la sensualité de Rambert [41]. Même le père Paneloux finira par rejoindre les 'résistants' [42] et apporter aide et compassion à son prochain [43]. Tarrou, c'est ce jeune homme de L'Étranger qui compatit pour Meursault et rejette comme une monstruosité sa condamnation à mort. Il déteste se faire remarquer et parler pour ne rien dire; c'est 'un pur'. Il connaît le terrible défi « de faire le moins de mal possible et même parfois un peu de bien. »
Le docteur Rieux semble un roc, étranger au découragement, un costaud capable de porter la lutte à bout de bras et se confond avec elle. Pourtant, il reste dans l'ombre. Meursault parlait à la première personne, étranger à lui-même, Rieux pour engagé qu'il soit, s'exprime à la troisième personne, effacé, en retrait dans le récit [44]. Camus lui-même confirme ce décalage calculé : « La Peste est une confession, et tout y est calculé pour que cette confession soit d'autant plus entière que la forme y est plus indirecte ». Ce sont des hommes de bonne volonté qui pensent « qu'il n'est pas nécessaire d'espérer pour entreprendre, ni de réussir pour persévérer [45], » qui luttent aussi contre les complices du fléau, ces corps constitués qui subissent, sans véritablement engagé le combat.
Finalement, le docteur Rieux pense qu'il est juste « que de temps en temps au moins la joie vînt récompenser ceux qui se suffisent de l'homme et de son pauvre et terrible amour. »
72- L'État de siège : de l'apocalypse au martyre
Cadix où se situe la pièce
Cette pièce créée avec Jean-Louis Barrault, a eu un accueil mitigé. On attendait plutôt une adaptation de La Peste mais Camus avait en tête un autre projet : créer un 'spectacle' au sens médiéval du terme, dans la veine des 'autos sacramentales' espagnoles. Dans une interview, Jean-Louis Barrault donne le ton : « Il s'agit... d'un spectacle dont l'ambition est de mêler toutes les formes d'expression dramatique depuis le monologue lyrique jusqu'au théâtre collectif, en passant par le jeu muet, le simple dialogue, la farce et le chœur. »
Apocalypse à Cadix : chacun vit dans la ferveur de l'été, à l'ombre des hauts murs de la cité, insouciant au mal mystérieux qui menace. Le mime et les effets sonores symbolisent la peur qui s'insinue peu à peu. Le merveilleux s'estompe derrière le « squelette allégorique » de La Peste. Le tragique de cette Peste qui s'abat sur la ville et broie les hommes, devrait s'appuyer sur la cruauté implacable du dictateur mais Camus n'est pas un homme de haine et finalement, on en reste aux symboles. Pour lutter, il faut d'abord vaincre la peur et seulement ensuite contre-attaquer. Cadix n'est pas Oran, Rieux, Tarrou et les autres se sont dispersés, seul Diégo va se sacrifier. L'État de siège conclut Quilliot, « est donc un appel à la résistance sous toutes ses formes » : contre l'égoïsme, la violence et tyrannie franquiste [46].
En contrepoint, Camus a placé, à travers les personnages de Diégo et de Victoria, le symbole de l'amour qui s'oppose à la violence de La Peste, un peu comme dans Le Malentendu, le contraste du couple Jan et Maria pris entre « la nécessité, la force et l'espoir. »
73- Les Justes
Dans cette pièce, Diégo devient terroriste dans la Sainte Russie livrée à la peste tsariste. En janvier 1948, un article de La Table ronde évoque ces terroristes russes que Camus reprendra dans un chapitre de L'Homme révolté [47]. Le 2 février 1905, Kaliayev refusa de lancer sa bombe sur le grand-duc Serge pour épargner la vie de ses neveux qui se trouvaient dans le carrosse et monta à l'échafaud sans avoir rien tenté pour sauver sa vie. La question centrale est aussi celle des Mains sales : un révolutionnaire peut-il recourir au meurtre [48] ? Pourtant, rien ne prédisposait ces jeunes gens issus de milieux aisés au recours à la violence. Yanek Kaliayev est « un peu fou, trop spontané, » Dora une jolie fille simple qui regrette le temps de l'innocence. Stepan est le seul qui soit habité par le meurtre et qui s'oppose à Kaliayev [49].
Deux conceptions du révolutionnaire s'affrontent ici. Stepan veut traiter le mal par un remède drastique, le meurtre, sans faiblir [50]. Kaliayev refuse de choisir entre la violence et la vie, un de ceux que Camus appelle dans L'Homme révolté, « les meurtriers délicats. » [51] Mettre ses scrupules, la mort entre parenthèses, au nom de l'efficacité ne suffit pas à redonner une certitude [52]. Seul le sacrifice de leur vie, ce don suprême, peut réussir à équilibrer le meurtre.
La dimension humaine revient par la souffrance de la Grande-duchesse, ce recours en grâce qu'agite le policier Skouratov sous le nez de Kaliayev.
Elle domine aussi la scène d'amour entre Yanek et Dora qui, oubliant dans un mouvement d'abandon leur rêve de pureté et l'action révolutionnaire, se retrouvent, dans un sursaut de bonheur et de tendresse. Mais chacun d'eux « porte sa vie à bout de bras » dans un profond déchirement et « cet absurde... les porte au martyre avec une joie amère. » Les Justes, c'est l'histoire d'un groupe de jeunes gens épris de pureté, que révolte le cynisme de leur époque et qui pourraient provoquer la prise de conscience nécessaire pour « réintégrer la morale dans l'histoire. »
Lire la suite : Camus-Quilliot, La Mer et les Prisons 2
Albert Camus (ina)
Notes et références
- ↑ Il a aussi écrit : « Dans sa recherche obstinée, seuls peuvent aider l'artiste ceux qui l'aiment. »
- ↑ Comme l'affirme Roger Quilliot page 27
- ↑ Voir la préface de L'Envers et l'Endroit
- ↑ Pour Wilde, voir sa préface intitulée L'artiste en prison à la Ballade de la geôle de Reading
- ↑ « Les bougainvillées rosats, hibiscus rouge pâle, roses thé épaisses comme la crème, long iris bleus sans compter la laine grise des absinthes...
- ↑ Voir Roger Quilliot page 54
- ↑ Qui s'est appelé Théâtre du Travail puis Théâtre de l'Équipe
- ↑ Le mythe de Prométhée par exemple, lui qui avait mis en scène et joué avec le Théâtre de l'Équipe le Prométhée d'Eschyle
- ↑ Qui lui a reproché dans Les Lettres françaises, de 's'être embourgeoisé'
- ↑ La pièce sera d'ailleurs interdite par le gouvernement général de l'Algérie
- ↑ En particulier, les articles intitulés Le Grèce en haillons, Un peuple qui vit d'herbes et de racines ou Des salaires insultants
- ↑ « Pour être tout à fait précis, je me souviens très bien du jour où la vague de révolte qui m'habitait a atteint son sommet. C'était un matin à Lyon et je lisais dans le journal l'exécution de Gabriel Péri. (réponse à Emmanuel d'Astier de la Vigerie, Actuelles page 185) »
- ↑ « Pour un temps encore inconnu, l'histoire est faite par des puissances de police et des puissances d'argent contre l'intérêt des peuples et la vérité des hommes. »
- ↑ « Jusqu'à nouvel ordre, résistant inconditionnel, -et à toutes les folies qu'on nous propose. » (Défense de l'homme, juillet 1949)
- ↑ « Le monde étant ce qu'il est, nous y sommes engagés quoi que nous en ayons. » (Ni victimes ni bourreaux)
- ↑ Voir par exemple les préfaces à "Combat silencieux devant la mort", de madame Héon-Canonne ou les "Poèmes posthumes " de René Leynaud
- ↑ Journal "Combat" 31 août 1944, 27 juin 1945 et 12 octobre 1944
- ↑ Il est bien vrai que je n’aurais plus de goût à vivre dans un monde où aurait disparu ce que j’appellerai l’espoir socialiste. » (Lettre à Roger Quilliot)
- ↑ Voir sa réponse à François Mauriac dans Combat du 11 janvier 1945 et de décembre 1948
- ↑ Il écrira aussi : « Ce qui me frappe au milieu des polémiques, des menaces et des éclats de la violence, c’est la bonne volonté de tous. » (Ni victimes ni bourreaux)et « Je crois que le monde n’a pas de sens supérieur… » (Lettres à un ami allemand)
- ↑ « Revaloriser même arbitrairement le prodige qu’est la vie humaine dans sa relativité » (René Char, "Recherche de la base et du sommet, Empédocle I) "
- ↑ « L’histoire n’est que l’effort désespéré des hommes pour donner corps aux plus clairvoyants de leurs rêves » (Actuelles page 169)
- ↑ « L'Algérie ne nous parle de l'esprit que par antithèse et par prétérition » écrit Roger Quilliot page 56
- ↑ « Mon camarade Vincent qui est tonnelier... a une vue des choses encore plus claire : il boit quand il a soif, s'il désire une femme, cherche à coucher avec et l'épouserait s'il l'aimait... ensuite, ça va mieux. »
- ↑ Réflexions sur la peine capitale (1957), en collaboration avec Arthur Kœstler, texte de Camus Réflexions sur la Guillotine
- ↑ Ces « symboles de ce monde désespérant où des automates malheureux vivent la plus machinale des expériences. » (L'Homme révolté)
- ↑ « On aura une idée plus exacte des intentions de son auteur si l'on se demande en quoi Meursault ne joue pas le jeu. La réponse est simple, il refuse de mentir. » (Préface de Camus à l'édition américaine)
- ↑ « Meursault, c'est Caligula tel qu'il était avant la mort de Drusilla » (Préface de Camus à l'édition américaine)
- ↑ Préface de Camus à l'édition américaine
- ↑ Article d'Alger-Républicain d’octobre 1938
- ↑ « L'œuvre d'art n'apporte aucune satisfaction au besoin de cohérence et d'unité, si vivace chez Camus » (Quilliot page 102)
- ↑ Voir son récit dans L'Envers et l'Endroit
- ↑ Camus a ressenti très vivement ce sentiment avec cette tuberculose qui le handicapera toute sa vie
- ↑ Roger Quilliot page 115
- ↑ « Comprenez, écrit Camus, qu'on peut désespérer de la vie en général mais non de ses formes particulières, de l'existence, puisqu'on n'a pas de pouvoir sur elle, mais non de l'histoire où l'individu peut tout. »
- ↑ Le docteur Rieux « savait cependant que cette chronique ne pouvait être celle de la victoire définitive »
- ↑ Oran est la ville de sa femme Francine où il a vécu quelque temps
- ↑ « ... l'action trouve sa forme; les êtres livrés aux êtres, où toute vie prend figure de destin »
- ↑ Il a au préalable réalisé de nombreuses études et s'est largement documenté sur cette question
- ↑ Lettre à Roland Barthes de février 1955
- ↑ Un homme qui au début se sent en exil à Oran mais écrit Camus, « il peut y avoir de la honte à être heureux tout seul. »
- ↑ « Mes frères, vous êtes dans le malheur, mes frères vous l'avez mérité » gronde-t-il au début
- ↑ Dans l'esprit de Camus, le personnage balance entre l'aumônier meurtrier des Lettres à un ami allemand à son ami résistant, le poète chrétien René Leynaud
- ↑ Le recours fréquent au style indirect accentue cette impression de retrait
- ↑ Pour Quilliot cette confession renvoie au Camus résistant, un combat qu'il voulut juste et sans violence comme celui de Rieux
- ↑ Voir aussi Pourquoi l'Espagne, réponse à Gabriel Marcel où il écrivait : « L'État de siège est un acte de rupture
- ↑ Si Camus a conservé le nom de son héros Kaliayev, les autres Dora Brillant, Boris Savinkov et Voinarovski font penser à Dora Doulebov, Boris Annenko et Voinov
- ↑ « Le plus grand hommage que nous puissions leur rendre, écrit Camus, est de dire que nous ne saurions en 1947 leur poser une seule question qu'ils ne se soient déjà posée et à laquelle dans leur vie ou par leur mort, ils n'aient en partie répondu. » (L'Homme révolté page 209)
- ↑ « C'est un frère de Martha, puritain sans âge » pour Roger Quilliot
- ↑ « Vivez-vous dans le seul instant ? Alors choisissez la charité et guérissez seulement le mal de chaque jour, non la révolution qui veut guérir tous les maux présents et à venir. »
- ↑ « Si un jour moi vivant, la révolution devait se séparer de l'honneur, je m'en détournerais. »
- ↑ Sur le thème de la morale voir Camus Le témoin de la liberté, Actuelles page 261
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