Albert Camus eut souvent recours à la nouvelle au cours de sa vie, surtout dans les périodes de recherches ou de doute, quand il ne se sentait pas assez de force ou de désir pour créer une œuvre plus conséquente. De ses recueils de nouvelles, on compte en particulier L’Envers et l’endroit et Noces dans sa jeunesse, l’Été paru en 1954 et L’Exil et le Royaume, dernière œuvre anthume importante en 1957.
Comme on le voit, Camus a eu recours à ce genre littéraire tout au long de sa vie, ce n’était donc pas pour lui simple question d’opportunité ou de facilité.
Les
héros de ce recueil qui contient six nouvelles voudraient bien se
sentir à l’aise avec la nature et avec leur prochain, accéder ainsi au Royaume mais dans le même temps, ils sont confrontés à un grand isolement, symbole de l’exil qu’ils ressentent. [1]
Camus quant à lui, a vécu au cours de sa vie un quadruple isolement, d’abord géographique avec son départ d’Algérie pour la France après la fin du quotidien Alger Républicain [2], socio culturel avec la polémique qui a suivi la parution de L’homme Révolté, et son rejet par le milieu parisien, politique par son rôle dans le conflit algérien, que beaucoup ne comprirent pas à l’époque et personnel enfin avec la tuberculose qui le poursuivra toute sa vie et une dépression souvent aggravée par les autres causes.
Camus a traversé une période très difficile où il parvenait à grand peine à donner le change et note fin décembre 1957 dans ses Carnets « Crise d’étouffement, interminables angoisses. » Mais son état va assez vite s’améliorer, notant quelque deux mois plus tard « les grandes crises ont disparu. Sourde et constante anxiété seulement. » [3] En mars 1958, il note une étonnante amélioration après son retour de Tipasa qu’il a revue avec une joie sans mélange, un enthousiasme qui lui fait écrire « sentiment de reconnaissance et de vénération [3] et au début de l’été 1958, il est en Grèce où il recouvre toutes ses capacités physiques et morales, son bonheur de visiter Delphes et « les instants délicieux » qu’il goûte sur l’île de Rhodes.
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Camus quant à lui, a vécu au cours de sa vie un quadruple isolement, d’abord géographique avec son départ d’Algérie pour la France après la fin du quotidien Alger Républicain [2], socio culturel avec la polémique qui a suivi la parution de L’homme Révolté, et son rejet par le milieu parisien, politique par son rôle dans le conflit algérien, que beaucoup ne comprirent pas à l’époque et personnel enfin avec la tuberculose qui le poursuivra toute sa vie et une dépression souvent aggravée par les autres causes.
Camus a traversé une période très difficile où il parvenait à grand peine à donner le change et note fin décembre 1957 dans ses Carnets « Crise d’étouffement, interminables angoisses. » Mais son état va assez vite s’améliorer, notant quelque deux mois plus tard « les grandes crises ont disparu. Sourde et constante anxiété seulement. » [3] En mars 1958, il note une étonnante amélioration après son retour de Tipasa qu’il a revue avec une joie sans mélange, un enthousiasme qui lui fait écrire « sentiment de reconnaissance et de vénération [3] et au début de l’été 1958, il est en Grèce où il recouvre toutes ses capacités physiques et morales, son bonheur de visiter Delphes et « les instants délicieux » qu’il goûte sur l’île de Rhodes.
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De ces six textes, La Femme adultère, Le Renégat, Les Muets, L'Hôte ou Jonas ne sortiront indemnes des situations auxquelles ils sont confrontés. Seul D’Arrast, le héros de La pierre qui pousse, sera épargné, évoluant dans un contexte géopolitique différent qui est celui du Brésil, échappant à ce dilemme, son isolement ne l’empêchera pas de connaître la solidarité et une forme de fraternité.
Si l’on peut leur trouver un fil conducteur, ce pourrait être une sensation d'insatisfaction ou d'échec du personnage principal, ce que Camus traduit par la sensation d’être en exil dans son environnement ou dans for intérieur, un enfermement qui rend très difficile de trouver le chemin du « Royaume », celui qui donne un sens à sa vie et un certain goût du bonheur.
Les personnages ont ainsi des points communs dans leur comportement profond, quelles que soient les situations dans lesquelles ils sont plongés. Plusieurs de ces nouvelles se déroulent en Algérie, que ce soit le campement nomade dans le désert, les villages du sud, l'école isolée dans la montagne, les quartiers ouvriers d'Alger, mais aussi dans un quartier bourgeois de Paris pour Jonas ou un village du Brésil pour La pierre qui pousse.
L’exil et le royaume par Émilie, Hilda et Barnabé à l’Atelier du Midi
Voilà en quelques lignes un résumé de chacune de ces nouvelles avec leur thème central.
- Janine la Femme adultère est lassée de sa vie médiocre de femme au foyer, qui accompagne son mari représentant en tissus dans le sud algérien et qui va vivre une expérience intime avec l’espèce de magnétisme qui émane du désert, une espèce d’adultère très éloigné du sens commun.
- Le Renégat ou un esprit confus a une forme particulière. Il se présente comme le long monologue d'un missionnaire chrétien victime de reniement, basculant dans le délire et l'hallucination en vivant le martyre que lui inflige une tribu animiste du désert, qu’il voulait évangéliser.
- Les Muets puise dans la jeunesse de Camus et se passe dans une tonnellerie d'Alger, comme son oncle. Il existe d’ailleurs une photo assez connue où on peut voir le jeune Albert à côté de son oncle dans la tonnellerie. Même s’il aime la solidarité ouvrière dans la lutte contre leur patron, même s’il aime toujours sa femme, l’un des ouvriers nommé Yvars ne parvient pas à insuffler du sens à sa vie, malgré tous ses efforts.
- L’Hôte est l’histoire de Daru, un instituteur européen d'Algérie,
isolé dans son école par l'hiver sur des plateaux montagneux et
confronté à une situation inédite pour lui. Il doit conduire un
délinquant en ville pour le remettre aux autorités locales. En cours de
route, il décide de le libérer, mu par un mélange de remords et de
compassion, mais celui-ci décidera finalement de se rendre aux
autorités, ce qui déclenchera des réactions de menace de la part de ses
frères arabes. Dépassé par les événements, Daru se sent seul et dépassé par des événements qui lui échappent. [4]
- Avec Jonas ou l’artiste au travail, on suit le cheminement de Jonas, artiste-peintre parisien, qui passe de la réussite à l'impuissance créatrice et à la dépression profonde. « Il guérira » certes, mais à condition de résoudre le dilemme posé par la dualité entre être solitaire et être solidaire, ces deux mots qu’on finira par découvrir écrits de sa main en tout petit, à la fin de la nouvelle. [5]
- La Pierre qui pousse se passe au Brésil où Camus est allé en 1949. L’ingénieur français D'Arrast,
se sent plutôt déraciné et seul dans ce pays qu’il connaît peu et mal.
Il trouvera toutefois une forme de communion dans un village en
partageant avec ses habitants leur fête locale basée sur un mélange de
rites chrétiens et de possession vaudou. Il se présente comme le symbole
d'un Sisyphe heureux d'avoir contribué à l'œuvre collective en prenant le relai et en portant cette lourde pierre pendant la procession.
Albert Camus, L’Hôte Loin des hommes, L’Hôte au cinéma
Les personnages ont également en commun d’être plutôt des Français moyens, des actifs évoluant dans le monde du travail. Janine est femme d’un représentant de commerce dans la Femme adultère, Yvars un ouvrier tonnelier dans Les muets, Daru instituteur dans L'Hôte, D’Arrast ingénieur dans La pierre qui pousse. Même les deux personnages plus typiques exercent un rôle social dans leur activité à travers son art pour Jonas et son sacerdoce pour le Renégat.
L’Étranger Jonas et La Pierre qui pousse
Ils sont unis par un sentiment d'échec et de solitude dominé par l’exil qui les sépare de leur aspiration à rejoindre le Royaume : échec du couple dans La Femme adultère, échec de la rédemption dans Le Renégat, échec de la vie sociale dans Les muets, échec de l'intégration dans L'Hôte, échec de la création pour Jonas, lassitude de D'Arrast dans La pierre qui pousse. Seuls échappent en partie à cette malédiction Janine qui a eu une véritable révélation, Jonas qui entrevoit le bout du tunnel et surtout D'Arrast par son intégration dans le groupe des villageois.
Camus au festival d'Angers en 1953
À propos de sa nouvelle L’Hôte
À propos de sa nouvelle L’Hôte, on a parfois reproché à Camus la figure de l’arabe livré à ses bourreaux par l’instituteur alors que dans son esprit, la guerre d’Algérie et ses excès rendaient impossible tout dialogue. De la même façon, L’Étranger montrait aussi que le meurtre d’un arabe suscitait surtout l’indifférence.
Dans sa préface à L’Hôte, dans sa réédition de 2010, Boualem Sansal écrit que Daru et l’arabe « font le choix de la responsabilité et du respect de soi, c’est le seul chemin qui vaille… » Mais malheureusement, « ils étaient seuls. » Il revient sur les liens entre ces deux hommes qui peuvent au moins « croire que (leur histoire) sera à la hauteur de leurs rêves, des rêves de liberté et de justice. »
Notes et références
[1] Par ses termes opposés, "L'exil et le royaume" renvoie à un essai précédent de Camus paru en 1937, "L'envers et l'endroit", dont il disait qu’il était la matrice de son œuvre et où il évoquait les souvenirs d'un enfant pauvre d’Alger et sa découverte de son environnement.
[2] Camus ne fera ensuite que des séjours de plus en plus courts en Algérie et dans les dernières années, essentiellement pour aller voir sa mère.
[3] Voir Carnets tome III pages 255 et 259
[4] Cette nouvelle a été adaptée en bande dessinée par Jacques Ferrandez, avec une préface de Boualem Sansal puis au cinéma par David Oelhoffen sous le titre Loin des hommes.
[5] On a souvent vu dans le personnage de Jonas une projection de la vie de Camus, des préoccupations qui étaient les siennes à une époque de difficultés personnelles où il se sentait coincé dans son quotidien à Paris et qu’il avait du mal à supporter.
Voir aussi mes fiches :
* L'Exil et le Royaume -- L'Envers et L'Endroit -- L’Été --
* Camus et le théâtre --
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<< Ch. Broussas, Exil Royaume 10/03/2020 © • cjb • © >>
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