Albert Camus et Jean Grenier Albert Camus et Louis Guilloux
« Quel ami
parfait et quel homme pur ! Je l’aime tendrement et je l’admire, non
seulement pour son grand talent mais pour sa tenue dans la vie ».
Louis Guilloux à propos de Camus, Carnets pages 207-208
Louis Guilloux à propos de Camus, Carnets pages 207-208
La correspondance entre les trois amis est multiple, faite
d’anecdotes, d’échanges sur leurs lectures, leur œuvre ou parfois leurs soucis
quotidiens. Une amitié indéfectible cimentée par Camus lie les trois hommes, Albert
Camus avec Louis Guilloux par une conception voisine de la vie ancrée sur des racines ouvrières, avec Jean Grenier, qu’il appelait « son
bon maître », relation plus intellectuelle, entre Guilloux et Grenier,
bretons originaires de Saint-Brieuc.
La famille Guilloux
La famille Guilloux
Jean Grenier, le « bon maître », a exercé une
influence indéniable sur Camus dont
il citait cette formule « qui le faisait
rêver » : « Je n’ai
jamais pu faire coïncider ce que je croyais être la vérité avec ce qui m’aidait
à vivre ». (Jean Grenier, "Vérité,", Lexique, page 77,
Gallimard, 1955) Tous trois aiment aussi beaucoup le philosophe Georges Palante, briochin d’adoption,
ami intime de Guilloux, auquel Grenier consacre un chapitre dans Les Grèves et que Camus cite dans L’homme
révolté. (Voir Louis Guilloux, Souvenirs sur Georges Palante, éditions
Calligrammes)
La maison de Guilloux, St-Brieuc
La maison de Guilloux, St-Brieuc
Louis Guilloux et Jean
Grenier se rencontrent à la bibliothèque de Saint-Brieuc en 1917, ce dernier campera plus tard son ami sous les
traits de Michel dans son roman Les grèves. C’est Jean Grenier, devenu professeur de philosophie du jeune Camus à Alger, qui lui fera lire les
œuvres de Guilloux.
Albert Camus,
alors responsable avec Pascal Pia d’Alger-républicain,
publie en 1939 La maison du peuple
en feuilleton. La censure interrompra cette publication après 5 épisodes, ce
que Jean Grenier annonce à Louis Guilloux. (Lettre reprise dans
les Carnets
de Louis Guilloux) En juillet 1943, Jean Grenier écrit à Camus qu’il vient de relire Le sang noir qualifié « d’humanité sulfureuse et
ténébreuse », ce à quoi Camus
ajoute que c’est « une œuvre
mutilée ». (Correspondance Albert Camus-Jean Grenier, page 75)
Camus et Guilloux
se rencontrent pendant l’été 1945 dans le bureau de Camus chez Gallimard, qui
l’attend en compagnie de Grenier et ils s’en vont tous les trois boire à la Frégate
« le verre de l’amitié ». (Louis
Guilloux, Carnets)
1947 est une année importante pour les 3 amis qui se
retrouvent en Bretagne
à Saint-Brieuc où Jean Grenier emmène Albert Camus sur la tombe d e son père
au cimetière
Saint-Michel, épisode que Camus
reprendra dans Le premier homme. En mars 1948, Louis Guilloux est invité par les Camus à une rencontre d’écrivains en
Algérie à Sidi-Madani. A cette
occasion, Camus l’emmène déjeuner
chez sa mère à Alger (preuve
d’amitié tout à fait exceptionnelle), puis chez sa tante et enfin l’entraîne à Tipasa dans l’univers de Noces, qui ne semble pourtant guère
l’éblouir. (Louis Guilloux, Carnets
pages 73 et 80) Jean Grenier est
désolé de n’avoir pu se joindre à eux et se dit « très heureux de savoir qu’il avait vu un pays où j’ai tant vécu
et que j’aime ». (Correspondance Albert Camus-Jean Grenier, page 144)
La plaque de Lucien Camus au cimetière St-Michel à St-Brieuc
Camus aide comme
il peut l’ami Guilloux souvent dans
la gêne, en l’inscrivant au service de presse de Gallimard, en le mettant en relation avec la revue La table ronde (il y publiera entre
autres Labyrinthe en 1953-54), avec
la revue Empédocle que Camus a lancée avec son ami René Char
ou en publiant ses textes dans la revue Caliban
de Jean Daniel, comme Mon plus beau souvenir d’enfance ou Les bâtons dans les roues en février
1950.
Jean Daniel, l'algérois directeur du Nouvel Observateur
Certaines années, leurs lettres se font rares car Camus et Guilloux se voient beaucoup, surtout à Paris
où ils ont leur bureau chez Gallimard.
Grande joie en 1950 quand Louis Guilloux
reçoit le prix Théophraste Renaudot
pour Le
jeu de patience avec ce bandeau de Camus : « Nous sommes avec Guilloux au cœur de ces terres
inconnues que les grands romanciers russes ont tenté d’explorer ». A
cette occasion, Camus écrit
aussi : « Il faisait plaisir à
voir quand j’étais encore à Paris. Nous le blaguions un peu mais tout le monde
était ravi ». (Correspondance Albert Camus-Jean Grenier, page
168)
Chaque fois qu’ils se rencontrent, ils discutent de leurs
projets, de leurs travaux en cours, comme en juillet 1950 où ils parlent d’Actuelles I qui vient de paraître et de L’Homme révolté, alors en
chantier. Ils débattent aussi de sujets qui leur tiennent à cœur comme en
témoignent les Carnets de Louis
Guilloux : « Je sors de
chez Camus… avec qui j’ai eu une conversation très intéressante à propos de la
liberté, du choix d’une règle, etc. […] Nous avons parlé du très beau livre de Victor Serge Mémoires d’un révolutionnaire… » (Louis Guilloux, Carnets page 204) Le 30 janvier
1952, Louis Guilloux s’installe à Paris 17 rue de l’université
chez Claude Gallimard, dans ce qu’il
appelle sa « chambre de bon ».
Jean Grenier, Souvenirs Camus et Grenier en Bretagne
Jean Grenier, Souvenirs Camus et Grenier en Bretagne
Le 6 février 1952, Camus
et Guilloux adressent un télégramme
à l’ami Jean Grenier : « Heureux anniversaire.
Affectueusement. Louis et Albert », que Grenier remerciera chaleureusement. 3
mars 1952 : « Ce matin, écrit Guilloux,
comme tous les jours depuis que je suis ici [à Paris] j’ai passé une heure avec
Camus dans son bureau. A l’automne, Louis Guilloux prépare le mariage d’Yvonne sa fille unique, écrivant dans
ses Carnets « Camus,
chez qui nous avons pris le café, nous a très spontanément offert son
appartement pour une réception le jour du mariage ».
Ils se voient beaucoup après le retour du voyage de Camus au sud algérien qui lui inspirera
en particulier la nouvelle La femme
infidèle, reprise ensuite dans L’exil et le royaume. En janvier 1953, ils
discutent dans le bureau d’Albert où
Francine les rejoint et le lendemain
dîne chez eux 29 rue Madame avec Bloch-Michel.
Le 28 octobre 1953,
commence une polémique avec Claude Roy du journal communiste Libération,
non à propos de La Maison du peuple
mais de la préface de Camus. Les
communistes lui reprochent en gros ce que Jean-Paul Sartre lui reproche aussi : d’oser dire que les bourgeois de
gauche n’auront jamais la même approche, la même expérience que les fils de
prolétaires. Dans cette affaire, Louis
Guilloux défend bien entendu bec et ongles l’ami Camus.
Albert Camus et Jean-Paul Sartre L'écrivain-journaliste Claude Roy
Albert Camus et Jean-Paul Sartre L'écrivain-journaliste Claude Roy
Novembre 1953. « Il
y a quelques jours, note Louis
Guilloux, Camus a eu 40 ans. Ce grave anniversaire s’est fêté dans
l’intimité, par un dîner chez Marius ».
Guilloux le trouve « tolstoïen comme il l’a toujours été ».
L’année suivante est plus morose, Francine
souffre d’une grave dépression, Camus
est « très pris par la maladie de Francine que l’on croyait à peu près
guérie et qui vient d’avoir une rechute. Asthénie complète. C’est très
sérieux ». Dès 1955, Camus
toujours homme de théâtre dans l’âme, pense à une adaptation du Sang
noir que Guilloux n’écrira
qu’en 1962 et publiera sous le nom de son héros Cripure.
Albert et Francine Camus
Albert et Francine Camus
Quand Camus prend
un appartement au 4 de la rue de Chanaleilles, dans le même immeuble que son ami
René Char, ils se voient moins.
Il confie aussi à Jean Grenier, « avec Maria Casarès avec laquelle je l’ai vu danser au Barcelona, entente parfaite ».
En octobre 1957, Albert Camus est lauréat
du prix Nobel de littérature. Camus se
retrouve sous les feux de la rampe et selon Jean Grenier, « Guilloux gêné et malheureux »
mais il le défendra bien sûr contre les attaques de ses détracteurs dont
l’attribution du prix Nobel a ravivé
la virulence.
Albert Camus et René Char Camus avec JL. Barreau et Maria Casarès
Albert Camus et René Char Camus avec JL. Barreau et Maria Casarès
Puis, jusqu’à la mort tragique d’Albert le 4 janvier 1960,
ils se voient et s’écrivent peu. Albert
Camus était très pris par ses adaptations théâtrales et se rendait le plus
souvent possible à Lourmarin mais
suivait de près l’écriture du roman de
Guilloux Les batailles perdues.
Louis Guilloux
veille le cercueil de son ami à Lourmarin
puis écrit à Jean Grenier : « Quelle terrible semaine… Depuis, je
ne sais que faire, je ne pense pas à autre chose, et je n’ai rien à dire »,
qui lui répond « tes sentiments sont
les miens. On ne peut pas penser à autre chose ». Jean Grenier et Louis
Guilloux s’écrivent de temps en temps, ce dernier lui envoie par exemple
ses commentaires suite à l’émission de télévision du 22 février 1961 consacrée
à Camus ainsi que des coupures de
journaux sur Camus.
Sa tombe à Lourmarin
Sa tombe à Lourmarin
Louis Guilloux reste en relations avec Francine Camus. Ils s’écrivent parfois,
Francine terminant sa lettre du 10 décembre 1962 par ces mots : « Je t’aime fraternellement. »
Il va déjeuner chez elle (lettre du 9 octobre
1962 à Jean Grenier) et
discutent de la préface que prépare Grenier
pour l’édition des œuvres de Camus à
La Pléiade. Ils se concerteront sur
deux questions qui feront problème. D’abord, dans cette tentative finalement
abandonnée de créer une Association des
amis d’Albert Camus pour aider Francine
dans la publication des inédits laissés par Camus sur lesquels il semble bien que la maison Gallimard ait jeté son dévolu. Ensuite
sur la publication des Carnets d’Albert Camus où Guilloux
servira d’intermédiaire, en particulier les deux premiers que Camus a rédigés et paraîtront rapidement
en 1962 et 1964. Le dernier, constitué de notes éparses et griffonnées ne
paraîtra qu’en 1978, supervisé par sa fille Catherine Camus.
Catherine camus
Catherine camus
Si dans ses Carnets,
Jean Grenier prête à Louis Guilloux des propos amères sur Camus, rien n’est venu corroborer ce
témoignage qui peut aussi provenir d’une certaine distance de Jean Grenier vis-à-vis de son cadet et
ancien élève qui lui avait « ravi la
vedette » et le ravalait au rôle d’un obscure philosophe qui
n’apparaît plus guère qu’à travers Camus.
Le 11 janvier 1964, Louis
Guilloux est à l’Odéon pour l’inauguration
d’un buste de Camus mais en 1966, il
est désolé de ne pouvoir se tendre à Cabris
pour assister au mariage de Catherine
Camus. Il note dans ses carnets un rêve qui revient à deux reprises où on
aide Camus de s’évader de prison
qu’il décide finalement de réintégrer malgré la présence de Guilloux. Le 5 janvier 1968, Guilloux note dans ses Carnets : « Hier était le huitième anniversaire de la mort d’Albert. Je pense toujours beaucoup à
lui, je n’ai jamais oublié cette date cruelle où j’ai appris par le téléphone, l’accident
qui lui a coûté la vie… Dans la matinée d’hier, Jean [Grenier] m’a téléphoné. Lui non plus n’a pas oublié… »
(Louis Guilloux, Carnets page 451)
Voir mes autres
fichiers :
* Albert Camus, Carnets, Actuelles
* Albert Camus, correspondances, « Le centenaire de sa naissance »
* Correspondance Albert Camus-René Char
* Correspondance Albert Camus-Michel Vinaver
* Correspondance Albert Camus-Jean Grenier
* Jean Grenier, « Albert Camus, Souvenirs »
* Albert Camus, Carnets, Actuelles
* Albert Camus, correspondances, « Le centenaire de sa naissance »
* Correspondance Albert Camus-René Char
* Correspondance Albert Camus-Michel Vinaver
* Correspondance Albert Camus-Jean Grenier
* Jean Grenier, « Albert Camus, Souvenirs »
Louis Guilloux et
Albert Camus
* Louis Guilloux, Albert Camus et Humo, directeur de la revue Arts, 12/1952 : Louis Guilloux, Carnets, 21/12/1952, pages 233-234
* Albert Camus, Avant-propos à La maison du peuple, Caliban 1948, Grasset, 1953
* L’affaire Libération et Claude Roy, 10/11/1953 : article de Claude Roy du 28 octobre dans Libération, notes de Louis Guilloux sur cette affaire, œuvres complètes CII, réponse de Claude Roy dans Libération du 12 novembre, enfin note de Louis Guilloux dans ses Carnets et dans œuvres complètes CII 03 02 05.
* Article de Louis Guilloux « Pour parler d’Albert Camus », 1960, Correspondance Camus-Guilloux, page 181-183
* « Nos liens avec Albert Camus », article de Louis Guilloux, Le petit bleu des Côtes-du-Nord, 13/02/1960
* Interview « Guilloux parle de Camus », 25/05/1974, site INA
Correspondance Camus-Guilloux Guilloux, Carnets
* Voir aussi ma fiche Louis Guilloux, oeuvre et biographie
<< Christian Broussas Camus Char Guilloux 09/2014 • © cjb © • >>
* Louis Guilloux, Albert Camus et Humo, directeur de la revue Arts, 12/1952 : Louis Guilloux, Carnets, 21/12/1952, pages 233-234
* Albert Camus, Avant-propos à La maison du peuple, Caliban 1948, Grasset, 1953
* L’affaire Libération et Claude Roy, 10/11/1953 : article de Claude Roy du 28 octobre dans Libération, notes de Louis Guilloux sur cette affaire, œuvres complètes CII, réponse de Claude Roy dans Libération du 12 novembre, enfin note de Louis Guilloux dans ses Carnets et dans œuvres complètes CII 03 02 05.
* Article de Louis Guilloux « Pour parler d’Albert Camus », 1960, Correspondance Camus-Guilloux, page 181-183
* « Nos liens avec Albert Camus », article de Louis Guilloux, Le petit bleu des Côtes-du-Nord, 13/02/1960
* Interview « Guilloux parle de Camus », 25/05/1974, site INA
Correspondance Camus-Guilloux Guilloux, Carnets
* Voir aussi ma fiche Louis Guilloux, oeuvre et biographie
<< Christian Broussas Camus Char Guilloux 09/2014 • © cjb © • >>
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