1- Le regard du philosophe Michel Onfray sur les relations entre Albert Camus et le monde libertaire
Référence : Michel Onfray : "Albert Camus est un libertaire irrécupérable", le Nouvel Observateur du 13 novembre 2011.
Ce qui a fait réagir Michel Onfray, c'est cette idée du président Sarkozy, qu'il trouve saugrenue, de transférer Albert Camus au Panthéon. Ce n'est pas d'aujourd'hui que Michel Onfray s'intéresse à Camus et il avait déjà proposé dans La pensée de midi, un essai paru en 2007, ce qu'il nommait une « archéologie de la gauche libertaire », en le plaçant dans la logique de Georges Palante et de Jean Grenier. [1] L'énorme popularité de Camus, c'est d'abord pour les passions idéologiques qu'il dénonçait alors, en particulier dans L'Homme révolté ont largement disparu pour mieux révéler sa grande lucidité ; "Aujourd'hui, l'Histoire lui a donné raison."
Si l'on définit le terme "philosophe" comme un écrivain " qui propose une vision du monde et vit à la hauteur de cette vision", alors Camus avait cette vision philosophique dans son "hédonisme tragique". L'actualité de Camus, c'est son refus de la violence révolutionnaire et des systèmes qui, par leur conservatisme, permettaient qu'elle existât. Camus a rejeté aussi bien le capitalisme et ses formes de libéralisme ou d'économie de marché qui règne avec son danger de déshumaniser toute politique et les dictatures de droite comme de gauche qui niaient la justice et la liberté."La justice sans la liberté, c'est la dictature ; la liberté sans la justice, c'est la loi du plus fort : il voulait la justice et la liberté, ce qui faisait de lui un libertaire..." L'intérêt actuel pour Camus, qui ne se dément pas, s'explique sans doute parce qu'il pensait au-delà des fractures classiques en visant "la justice sociale incarnée et non l'idée de justice" ; ainsi, il ne relève pas de la politique qu'elle soit stratégie ou spectacle, rétrograde ou idéaliste comme celle des Normaliens mais, fidèle à lui-même et à sa pensée, prend place aux côtés des opprimés, des exploités, et autres victimes de l'Histoire...
2- A propos d'un Camus libertaire
La modernité de Camus, plus réelle que jamais, c'est la conclusion de Michel Onfray. Ayant choisi la "mesure de Némésis" de ce qu'il nomme "la pensée de midi", Camus a dénoncé les deux travers essentiels de son époques, ses deux traits caractéristiques : la conjonction des dictatures de droite et de gauche, aussi intransigeant pour les unes que pour les autres, dictature politique pour la gauche communiste confisquant les libertés, dictature économique de la droite qui vide la liberté de tout contenu et nie la justice sous couvert de loi du marché et de capitalisme.
De la même façon -ce qui lui faisant effectivement beaucoup d'adversaires sinon d'ennemis- il refusait le laxisme des sociétés bourgeoises favorisant en fin de compte la violence, le recours aux solutions extrêmes. Son "hédonisme tragique", selon l'expression de Michel Onfray, fait qu'il n'existe aucune liberté sans justice et aucune justice sans liberté. Ainsi les deux termes de la dialectique sont posés et l'on ne peut transiger ou "remettre au lendemain"...
Vouloir les deux, justice et liberté, c'est être libertaire selon Michel Onfray et "Camus est un libertaire irrécupérable", car dit ce dernier "sans "le goût de l'homme... le monde ne sera jamais qu'un immense solitude." Ce moraliste avait des principes -ce qui participe de sa modernité- qui l'amenaient à dénoncer et à rejeter la haine -on le lui a assez reproché à propos de l'Algérie- le cynisme et les compromissions.
3- Camus, Sartre et les nouveaux réacs
Référence : Michel Onfray : "Camus, Sartre et les nouveaux réacs", Le Monde du 30 avril 2011.
Michel Onfray voit comme un gâchis le temps que Camus a passé et même a perdu, à répondre aux nombreuses polémiques qu'ont suscité ses textes alors qu'il aurait pu écrire un essai sur le socialisme libertaire qu'il nous aurait ainsi laissé. Il a focalisé sur lui -surtout après la parution de L'Homme révolté -"toute la médiocrité de son et de l'époque mais peut-être aussi toute la médiocrité de la nature humaine" ajoute Michel Onfray. En tout cas, une convergence hétéroclite d'attaques de gens "de plumitifs misérables", qui lui reprochent d'être du côté des chrétiens ou des athées selon le cas, d'être trop à gauche ou pas assez, selon leurs convictions.
Se penchant sur son époque, Albert Camus déplore que la polémique ait remplacé le dialogue, "le siècle de la polémique et de l'insulte." La polémique est pour lui une façon de nier l'autre, de le simplifier à l'extrême pour l'intimider, de l'agonir d'insultes et de calomnies. De ce point de vue, Camus est plus que jamais d'actualité quand il dénonce et propose une "morale de dialogue". Dans cette époque de véritable guerre psychologique relayée, amplifiée par les médias, on est loin de Camus et de Voltaire qui écrivait : "Je ne suis pas d'accord avec vous, mais je me battrai toute ma vie pour que vous puissiez vous exprimer."
Pour le moment, la conception sartrienne domine toujours "comme une imprégnation éthologique", dans la logique de ce que disait Simone de Beauvoir en 1955, que "ce n'est pas un hasard si la droite professe le pluralisme." Ce à quoi Camus répliquait dans Actuelles II, pensant à une gauche libre, que "si la vérité devait être de droite, alors je serais de droite." Il est urgent de renverser cette logique de haine, de terrorisme intellectuel qui ferait un peu reculer "le spectre des 'échafauds concrets'."
- Voir aussi les fiches Albert Camus et Michel Onfray
[1] Jean Grenier, ancien professeur de philosophie de Camus au lycée d'Alger et que ce dernier considérait comme son maître. Voir aussi l'ouvrage biographique que Jean Grenier a consacré à Albert Camus.
<<<<<< Christian Broussas - Feyzin - 5 février 2013 - <<<<<< © • cjb • © >>>>>>>
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